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38 LITERATURE THE ART OF ENCOUNTERNG But her literary continent remains rooted in the southern hemisphere: “I aman islander, she says. Mybooks are steeped in this insu- larity. I amvery sensitive to the sun, the sea, nature, the landscapes and the people. All writers have their internal geography. Mine is probably in the shape of an island. ” In 2008, Nathacha Appanah went to live in Mayotte for two years, in the Comoros archipelago. She discovered a French island facing a massive influx of refugees, where gangs of teenagers wander around, left to their own devices, between delin- quency, drugs and unemployment. This became Tropique de la Violence , published in 2016, a dark polyphonic descent into this little hell on earth. It changed the way she saw these islands lost in the ocean, so often depicted as exotic paradises. Today, she says, “ My relationship with this part of the world, and in particular with Mauritius, is less romantic, more social, more rooted in reality.” A vec le temps, la feuilledepapier sur laquelle sa grand-mère avait tracé ses premiers mots a disparu, et pourNathachaAppanah, c’est comme si un trésor avait été perdu. Elle avait dix ans, quand la vieille dame analphabète lui demanda de lui apprendre l’alphabet. Avec “ ALL WRITERS HAVE THEIR INTERNAL GEOGRAPHY. MINE IS PROBABLY IN THE SHAPE OF AN ISLAND. ” « CHAQUE ÉCRIVAIN A SA GÉOGRAPHIE INTÉRIEURE. LA MIENNE A PROBABLEMENT LA FORME D’UNE ÎLE. » l’aide de sa petite fille, elle s’entraînait tous les jours, et les premiers mots qu’elle réussit à écrire furent les prénoms de ses petits-enfants, « Nathacha » et « Davin ». Cela se passait à Piton, à l’île Maurice, le village où l’écrivaine a vécu les six premières années de sa vie. Depuis cette époque, Nathacha Appanah rêve d’écrire « un récit lumineux » sur ses grands-parents, non seulement parce qu’elle adorait leur vie à l’ancienne, mais aussi parce qu’ils ont été à la source de son inspiration : « Ils sont mespremiersfantômes,ceuxpourquij’écris.» Nostalgique, mais libre Aujourd’hui, avec six romans, un recueil de nouvelles, des traductions dans plusieurs pays et de nombreux prix littéraires dont le prix Femina des lycéens en 2016, Natha- cha Appanah est une écrivaine comblée. Elle a commencé à écrire à l’adolescence. Masson, ÉdouardMaunick : « Ilsm’ouvraient les yeux sur la beauté demon propre pays, sur l’amour qu’onpouvait éprouver pour lui. » À 25 ans, en 1998, elle quitte Maurice pour un stage de trois mois au Dauphiné Libéré, à Grenoble. Elle n’a pris qu’une seule valise, croyantrevenirbienvite.Maisàlafindustage, on lui propose un emploi, puis un autre. Elle choisit alors de rester en France, vivant tour à tour à Lyon, Paris, et enfin Caen. Il y a la nostalgie bien sûr, mais elle s’y sent plus libre, plus anonyme, etmoins confinée. L’envie d’écrire qui la taraudait depuis son adolescence lui revient, plus forte que jamais : « À Maurice, j’avais les mains comme attachées. C’était trop compliqué d’écrire. Cette fois, j’étais déterminée à être publiée. » Pari réussi. En 2003, paraît son premier livre, Les Rochers de Poudre d’Or, chez Gallimard, le nec plus ultra. C’est un hom- sont profondément marqués par cette insularité. Je suis très sensible au soleil, à la mer, à la nature, aux paysages et aux corps. Chaque écrivain a sa géographie intérieure. La mienne a probablement la forme d’une île. » En2008, NathachaAppanahpart vivredeux ans àMayotte, dans l’archipel desComores. Elle découvre une île française affrontant un afflux massif de réfugiés, où errent des bandes d’adolescents livrés à eux-mêmes, entre délinquance, chômage et drogue. Elle en ramène Tropique de la violence, paru en 2016, une plongée polyphonique et sombre dans ce petit enfer sur terre. Son regard a changé sur ces îles perdues dans l’océan, si souvent présentées comme des paradis exotiques. Aujourd’hui, dit-elle, « mon rapport à cette région dumonde, et à Mauricenotamment, estmoins romantique, plus social, plus ancré dans le réel. » D’abord un journal intime, puis très vite, des textes de fiction. Elle se souvient d’histoires de « femmes empêchées de mener leur vie comme elles auraient voulu, à cause de la tradition, des hommes, des enfants, du lieu même où elles habitaient ». À cette époque, elle lit Albert Camus, les sœurs Brontë, et découvre aussi les écrivains mauriciens, Pierre Renaud, Loys mage à ses grands-parents, dont les ancêtres faisaient partie des centaines de milliers d’immigrés venus d’Inde pour travailler dans les plantations sucrières de Maurice après l’abolition de l’esclavage en 1835. On les appelait les « engagés », dont le très documenté Les Rochers de Poudre d’Or retrace la romanesque odyssée. « En France, on n’arrêtait pas de me demander d’où je venais, dit-elle. J’ai tenté de répondre. » Maurice, une inspiration omniprésente L’île Maurice poursuit Nathacha Appanah dans ses livres. À l’image de Piton, le village de sa petite enfance, l’île est « un puits d’imaginaire ». Soit l’auteur y plante ses intrigues, soit ses personnages, vivant en exil comme elle, sont hantés par sa lointaine présence. Dans Blue Bay Palace, elle dit de son pays : « Les gens d’ici ra- content qu’il n’était pas prévu. Qu’il a jailli comme cela, sans que personne ne lui demande quoi que ce soit et que c’est pour cela qu’il reste si mystérieux. » Comme beaucoup d’émigrés, Nathacha Appanah se sent à cheval sur deux cultures, deux mondes. Mais son continent littéraire reste enraciné dans l’hémisphère Sud : « Je suis une îlienne, dit-elle. Mes livres

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