01

52 MAURITIUS THE ART OF DISCOVERY Les longues mèches blanches de ce gaillard sexagénaire au look d’éternel rebelle, élément excentrique d’une famille de « grands blancs » débarqués de Saint-Malo en 1747, volent au vent du large. Il embrasse du geste et du regard « son » village qu’il a tant dessiné : des bâtis- ses disparates et coquettes, en béton ou en tôle ondulée, des cases aux toits de chaume, un temple hindouiste rose pétard, un flamboyant sur le point de flamboyer, le pont bleu sur la rivière qu’on traverse dans un bruit de ferrailles, et des baraques gourmandes où goûter d’un chausson de patate douce fourré de noix de coco, de papayes « tapées » ou de limons confits. Au loin, face aux vagues que chevau- chent les « Caleçons roses », surfeurs locaux, s’égrènent des notes de jazz du désuet hôtel Tamarin qui balise d’un orange très 60’s les filaos de la plage. Un « multipliant » géant entremêle à nos pieds les lianes de ses racines aériennes sur lesquelles se balancent des gamines. Une vision encore idyllique pour Jan, insubmer- sible créole, qui grogne parfois, mais sucre souvent son franc-parler d’un « zoli-zoli » patois : « Déjà du temps de mon père Amédée – pionnier idéaliste du tourisme mauricien – le 10 a.m, the clear water of the perfectly scraped heaters reflects a salt worker and her “lousse” used to lift the delicious “fleur de sel”. 10 heures du matin, l’eau claire des chauffoirs impeccablement grattés reflète une saunière et sa « lousse » à prélever la fleur de sel. U ne parcelle brûlante du patrimoine de Maurice est sauvée. Convoitées ardem- ment par les promoteurs immobiliers, emblème d’un village de pêcheurs du sud-ouest de l’île aux charmes métissés, les salines de Yemen-Tamarin font de la résistance pour échapper à l’emprise du béton balnéaire. Elles s’étendent sur 25 hectares en bas des pentes caillouteuses du cratère du Rempart, vestige d’une caldeira explosive. Leurs damiers de basalte bleu-nuit et de terre glaise, miroirs liquides d’un ciel devenu cubiste, surchauffent l’eau de mer et l’évaporent ainsi en un glaçage blanc qui tapisse les pierres volcaniques. L’alchi- mie du sel, de bassins « nourrices » en chauffoirs et cristallisoirs, naît de l’océan, du soleil, de la pluie et du vent. Comme les marins, les sauniers sont soumis aux caprices de la météo… Jan Maingard, une vision colorée et poétique C’est ici que René Maingard restaura en 1949 des salines familiales, vieilles de deux siècles. JanMaingard, un des héritiers, poète conteur en créole, historiengrivois et auteur de laBDTamarin Matin, se démène pour les défendre. Il nous emmène « kozé » en haut des marches d’un four à chaux, véritable tour de guet d’où Jan surveille son territoire cerné par le bitume de la route côtière et assiégé par des lotissements de luxe. sels médiocres et peu taxés en provenance d’Égypte, d’Inde et de Chine. Nous, on vend donc du gros sel pas raffiné, mais aussi sa fleur cristallisée à ceux qui passent par là. 1 600 tonnes les bonnes années qui servent encore à la salaison des poissons, aux teintureries textiles et à l’entretien des piscines. » Sa très petite entreprise artisanale – une poignée de 17 de dames appliquées et joviales aux grâces robustes, flanquées de Raj, le maître du sel, et de Francis, maître de toutes les eaux, de la pompe marine au tracé des labyrinthes aquatiques – ne connaît pas la crise. Les saunières logent tout près. Elles arrivent à 5 heures du matin, restent jusqu’à 10 heures à gratter, racler, brosser, entas- ser, déverser et empaqueter le sel. L’après- midi, leurs familles viennent parfois finir le travail éreintant pendant que les enfants jouent dans les flaques. Au début de l’été, en décembre, quand les eaux « mûres » sont prêtes pour la collecte, la coupe du sel, comme on dit la coupe des cannes, va pouvoir encore une fois recommencer. « On est venume dire "larg lamar" ! Mais je neme séparerai jamais de tout ça », rugit le dernier héros de l’aventure du sel. gouvernement, agacé par l’attitude des vieilles familles de colons français, ne regardait pas d’un bon œil nos salines », commence-t-il, râlant contre des politiciens hostiles à ces vestiges du temps passé, au nom de la « valorisation des terres ». Le dernier des Mohicans de l’île Maurice Depuis le XVII e siècle, onze salines, où travaillaient des centaines de sauniers et de saunières, parse- maient les côtes de l’île, du nord-est au sud- ouest, suscitant un florissant commerce. Beaucoup disparurent dans le développement de la capitale Port-Louis, seules celles autour de Tamarin subsistèrent. Puis l’indifférence des dirigeants – ceux-là mêmes qui, pour fêter l’indé- pendance de l’île ont choisi la date du 12 mars en hommage au début de la Marche du sel du Mahatma Gandhi (1930) – facilita peu à peu la disparition de ce patrimoine naturel national. « Nous sommes les derniers des Mohicans ! », clame Jan. Pour cet Astérix de Maurice dans son village assiégé, la cause est aussi locale que personnelle. « Je suis en colère quand je contemple ce futur catastrophique et planifié. Pourtant, les salines, ça aurait pu marcher si des gars patibulaires n’avaient pas concocté en 1998 un "Food Act" qui déclare le sel de Maurice impropre à la consommation, sans aucune étude scientifique, et autorise l’importation de “ PEOPLE HAVE TOLD ME TO GIVE IT UP. BUT I WILL NEVER TEAR MYSELF AWAY FROM ALL THIS! ” « ON EST VENU ME DIRE "LARG LAMAR" ! MAIS JE NE ME SÉPARERAI JAMAIS DE TOUT ÇA ! »

RkJQdWJsaXNoZXIy NjMzMjI=