Beachcomber Magazine 02

D ans l’ombre des vacoas, sur l’anse désertée à la sortie du villagedetamarin, Linzy reprend le fil de l’histoire, interrompue de temps à autre par ses éclats de rire et lesmélo- pées improvisées de ses musiciens. VIVRE C’EST CHANTER Elle dit l’enfance modeste à quatre Bornes sur l’île Maurice ; la maison fami- liale, aimante et emplie de musique ; la chorale de l’église Notre-Dame-du- Rosaire ; son grand-père maternel vio- loniste, militant, et pionnier du groupe Latanier ; sa mère, élève du grand sega- tier Serge Lebrasse, une chanson tou- jours aux lèvres ; le « père qui faisait trop souvent le clown pour ne pas être sombre » ; son parrain guitariste et les concours de chant télévisés dès l’âge de 8 ans ; le collège qu’elle abandonne pour se produire sur scène et améliorer l’ordinaire ; l’ascension fulgurante qui la mène sur le continent, à Paris, le temps d’un single et des désillusions. Le retour au pays, un nouvel album, un premier mariage, un premier enfant, Solena. Ledivorce et l’album-résurrectionqu’elle compose entièrement, Breathe Again . La reconnaissance de son pays qui la consacre Membre de l’ordre de l’étoile et de la Clé de l’océan Indien (MSK). La rencontre avec le grand nom du seggae, Bruno Raya, et la naissance de leur fils, zion. Son groupe Mauravann – initié par le producteur Percy yip tong, avec ses « frères » musiciens, Samuel Dubois, Kerwyn Castel et Emmanuel Desroches – qui soulève le rythme ancestral des tambours ravannes et hisse le sega dans le paysage des grandes musiques du monde. LE SOUFFLE DE LA VIE Auteur et compositeur, Linzy s’est nourrie de tous les rythmes afro – sega, reggae, seggae, soul – qui jalonnent la route des esclaves, pour en revenir au rythmepremier du sega, néau XvII e siècle avec les esclaves africains etmalgaches. Sur la peau de chèvre patinée de sa ravanne, elle bat la mesure 6/8 ternaire. La maravanne de Kerwyn entre dans la danse et creuse le ressac des vagues. « C’est le rythme des battements de cœur, sourit Linzy. Mama Maurice a ac- couché de ses enfants dans la douleur. Nous sommes les héritiers d’une histoire violente et puissante. seuls les plus robustes ont tenu bon. » Elle fredonne le chant mythique Ama- zingGrace . Les yeux clos, le visage levé vers le ciel, un sourire immense. À cet instant, Linzy ne chante plus seulement pour nous. « vous entendez la rumeur des escla- ves au fond des bateaux négriers ? C’est un chant qui dit la lutte, le souf- fle, la vie par-dessus tout. Chanter, danser, jouer de la musique, c’est un seul élan pour partager la beauté et la joie de vivre. » QUI ES-TU ? « On commémore fin de l’esclavage, on connaît les grandes dates, mais on passe sous silence les blessures. On ne va pas au fond de la mémoire pour découvrir l’histoire cachée. si je chante depuis toujours, c’est pour répondre à une seule question : Qui es-tu ? Qui es- tu vraiment ? » Guidée par la nécessité de savoir pour pardonner, son ascension lumineuse est aussi un chemin à rebours. « J’ai plongé dans le ventre de Maurice et déterré mes racines profondes. Mon arrière-grand-mère maternelle était musulmane, originaire de dar es salam, en tanzanie. Avant de devenir Bacbotte, le nomde mon grand-père était Bhag- wat, un nom indien… Le sang, la sueur, les vies se sont mêlés. Nous ne sommes pas afro ou indo ou sino-mauriciens ou musulman... Nous sommes tout cela à la fois et plus encore. » La créolité ce n’est pas seulement le métissage. C’est « quelque chose en plus » : une façon de faire cohabiter en soi des rythmes, des langues, des cultures que tout oppose. « C’est notre richesse, tout entière contenue dans le kreol, notre langue-mère. C’est elle qui brise les chaînes », dit Linzy en ouvrant grands les bras pour accueillir l’or du jour.  “I hAve ALwAys suNG tO ANsweR ONe QuestION ONLy: whO ARe yOu? whO ARe yOu ReALLy?” « Je chante dePuis tOuJOuRs POuR RéPOndRe à une seuLe QuestiOn : Qui es-tu ? Qui es-tu vRaiment ? » MUSIC THE ART OF ENCOUNTER 36

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