Beachcomber Magazine 02

1662 mètres à 600 mètres au-dessus du cirque des Navacelles, en France. UNE DISCIPLINE ESTHÉTIQUE Nathan parle avec précision, calme et retenue. Il détone. D’abord, il n’a pas le gabarit des funambules de la tradition du cirque. Son 1,98mpourrait en faire un excellent troisième ligne au rugby ou un ailier au basket. Ensuite, parce qu’il a d’abord boudé cette slackline qui allait changer sa vie. Le jour où un des amis de son frère vient tendre une slack dans le jardin des Paulin, Nathan n’est pas séduit. Mais il ne dort pas de la nuit et, dès qu’il se lève, il file dans le jardin. Il apprivoise la sangle. Et c’est ellequi fait sa conquête : « dès que j’ai commencé, je suis rapi- dement devenu dépendant de l’état dans lequel j’étais en marchant sur la ligne : totale impression d’apaisement grâce à un ancrage complet dans l’ins- tant. Pour retrouver et renouveler cette sensation, j’avais besoin de quelque chose de plus difficile, donc maîtriser une ligne plus grande. » Le but de Nathan Paulin est d’ordre esthétique. « Ce n’est pas la longueur de la ligne qui compte, mais la poésie de la découverte. » La ligne lui procure des sensations inexprimables et il récu- se la chasse obsessionnelle aux records. « Quand je marche en équilibre dans le vide, mes sensations et mes émotions sont décuplées. Je traverse la peur, le doute, une joie intense aussi. » ENSEMBLE, C’EST TOUT Il parle toujours à la première person- ne du pluriel. « Nous ne savons pas vers quoi nous allons. C’est toujours la con- jonction de l’excitant et de l’effrayant qui nous stimule. Je dis ‘nous’ car ‘le marcheur du ciel’ n’est jamais seul. Il n’y a pas ‘un meilleur au monde’, et il n’y en aura jamais. Il y a seulement ‘un homme qui marche devant’ grâce à une équipe tout entière. huit personnes me permettent d’avancer, tous de fins techniciens, animés par une confiance réciproque. » Pour tendre des lignes qu’on n’aurait pas osé envisager il y a dix ans, le drone est devenu le partenaire indispensable car il permet de tracter uncâbledenylon grâce auquel on va pouvoir tirer ensuite les 120 kilos de sangle. Le plus difficile dans cet univers de légèreté, c’est la pesanteur administrative ! Pour par- courir le ciel de Navacelles en compa- gnie des seuls oiseaux, il a fallu des semaines de luttes avec les « services » et remonter jusqu’au ministère de la Défense et à l’armée de l’Air car la ligne constituait un obstacle redoutable pour les avions de chasse. À la Réunion, sa ligne si ténue pouvait être fatale à des hélicoptères – qui ne passent jamais par là. Le nom d’équilibriste prend alors un tout autre sens, entre deux piles de dossiers… AU-DELÀ DES FRONTIÈRES Mais le public est de plus en plus séduit. En décembre 2017, sous l’œil des camé- ras, il a pu partager son voyage au- dessus de la Seine, entre la tour Eiffel et le trocadéro, avec des millions de Français – en revanche, peu de témoins la veille, pendant les essais, quand il était tombé à 80 mètres de l’arrivée, retenu par son seul harnais… La Chine est son nouveau territoire. En particulier la région de Chengdu et les provinces du sud qui cherchent à valoriser leurs sites naturels extraor- dinaires. L’Empire du Milieu ne faisant rien en miniature, les productions de l’office du tourisme attirent des mil- lions de téléspectateurs ! un score impensable sept ans après les pre- miers pas de Nathan dans le jardin familial... Pas à pas sur la sangle qui serpente l’espace et le temps, les beautés les plus singulières de la terre sont à ses pieds, et il nous les offre.  Nathan Paulin in 2015 at East River Canyon. Nathan Paulin en 2015 au Cassé de la Rivière de l'est.  REUNION ISLAND THE ART OF DISCOVERY 58

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