Beachcomber Magazine 02

de maracas dans l’air, plus de lumière. C’est un peu l’élément invisible, le monsieur Loyal s’interposant entre le public et l’artiste. Il travaille à l’effleure- ment. Au tranchant. Pas de joliesse, de fleur-fleurs tapinant, juste le thème scintillant, honnête, travailleur et net dans ses accents. L’acide est structurant ; juste comme une baguette de chef d’orchestre, la badine du cavalier. Le citron combava entre ainsi dans le chant d’unmondemétissé, nomade. Loind’une vision fade, craintive et sédentaire. voilà pourquoi sur l’île Maurice, le citron combava fait partie à présent de la famille. Celle-ci est grande, accueillante. Les plats parlent chinois, indiens, cré- oles, européens, africains. Sauces rele- vées, mijotées, quelle danse! voici le vindaye (vindaloo) avec sa moutarde, son vinaigre, ses oignons, ses épices. Le rougail avec ses tomates, ses oignons, son ail, son gingembre, ses épices et bien sûr les feuilles séchées du citron combava ; les chutneys, carrys, daubes, fruits de mer, poulpe – l’ourite. on le sent déjà : à chaque énoncé, il y a en nous la tentationd’un zeste, d’une larme de citron. Cettedanse colorée, où s’entrechoquent tous les fruits et légumes de la création, témoigne de cette imprégnation du monde et de ce que l’on a choisi d’en retenir. La cuisine de l’île Maurice appar- tient à ces gastronomies délibérées, chatoyantes, faite de choix, de retour- nement de situation : maintenant, souvent en anglais, lorsqu’on évoque le citron combava, il est question de Mauritius papeda . La boucle semble bouclée et l’on imagine volontiers un tour de roue supplémentaire, à l’image des california rolls – l'interprétation californienne des sushis japonais, faire florès à présent… au Japon. C’est ainsi que la table devient universelle et réconciliatrice.  madeofchoicesandofreversedsitua- tions:now,inEnglish,kaffirlimeisoften referredtoasthemauritius papeda . Thewheelhascomefullcircleandwe caneasilyimagineyetanotherturn, justlikethosecalifornia rolls –the CalifornianinterpretationofJapanese sushi–,whichareenjoyinghugesuccess nowinJapan!Thisishowfoodbecomes universalandbindspeopletogether. I l fut un temps où le monde devait être fixe. Presqu’immobile. Chacun était chez soi, passait sa vie. Il devait régner un grand silence. Les vents ne servaient pas à grand-chose. C’est sans doute avec la chasse, la cueillette que le genre humain s’est mis à bouger les lignes, allonger la course des flèches. Agrandir son territoire, ses frontières, ses limites. Manger l’autre, en quelque sorte. Il y eut des accélérations, des temps morts, renfermés, mornes. Et de sou- daines secousses. Au XvI e siècle, une nouvelle race d’explorateurs mêle com- merce, brigandage, religionet unbrinde folie. Mandatés, financés par les princes et les rois, ils entreprirent de redessiner le monde, de découvrir des Amériques, des Indes et ce, dans un joyeuxdésordre. Les épices bénéficiaient alors d’une aura sans borne. Elles avaient toutes les vertus, incarnaient la richesse à l’image du poivre, appelé alors l’or noir. Les fruits et les légumes profitèrent de cette fenêtre de tir. Débuta alors un fantastique commerce avec cette chimie inattendue : le voyage offrait une sorte de réincarnation. La morue des mers froides du Nord retrouvait une seconde vie en Méditerranée après avoir été salée. que dire du chocolat, de la tomate, de la pomme de terre, du café ?! Ils nous venaient d'Amérique du Sud et connurent en Europe, le destin que l’on sait. MAURICE, PLUS QU'UN REFUGE Il en est de même pour le citron combava. Il somnolait langoureusement sur l’île indonésienne de Sumbawa, à l’est de Bali, dans l’archipel de la Sonde, dans la mer des Moluques. Les naviga- teursapprécièrent trèsvitecepetit citron ramassé, à la peau grumeleuse, au vert profond, costaud et tonique. À la fin du XvIII e siècle, c’est le botaniste Pierre Poivre qui le fit voguer vers l’océan Indien, jusqu’à l’île Maurice. Il y trouva plus qu’un refuge, une voca- tion. Car de ce citron, outre le jus, on devine tout de suite l’usage des feuilles séchées et des zestes. Ses arômes sont intenses. C’est ainsi qu’il se fond dans de nombreux plats de l’île Maurice. on le sait : l’acidité est un élément fonda- mental dans un plat. Il déjoue les plats tropposeurs et apporte sagaietévivace. Avec lecitroncombava, il yaunpeuplus  FINE CUISINE THE ART OF TASTE 76

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