Beachcomber Magazine 03

S oyons clairs, si nous étions restés les deux pieds dans les mêmes sabots, nos assiettes seraient tristes et notre santé fluctuante. Car grâce à l’énergie débordante de ces héros à l’envers, de leur âpreté au gain, les graines, pousses et semences traversèrent les océans. C’était le temps où la nature n’était pas menottée en licence par les trusts agro alimentaires. Les floraisons, transplantations fleurissaient abon- damment, nous délivrant aujourd’hui une terre métissée, croisée, enrichie. LA STAR DES MARCHÉS LOCAUX L’ananas et l’île Maurice appartiennent à cette histoire tumultueuse et féconde. On date l’arrivée et la culture de l’ananas vers le XIX e siècle, mais comme souvent, il faut peut-être remonter plus en amont pour trouver des traces de cette plante herbacée. Celle-ci est très particulière. Elle n’aime guère l’eau, car elle y perd de l’énergie. Y corrompt ses racines et préfère avoir le nez au vent. Souvent pollinisées par des oiseaux- mouches, ces plantes connaissent un moment rare. Il ne dure qu’une journée et délivre des fleurs bleues. Après c’est fini. Pour retrouver l’ananas, mieux vaut aller sur les marchés. Car le marché fait partie de la vie de l’ananas. C’est ici qu’elle connaît son heure de gloire, son terroir et sa bonne humeur. Cela fait partie de la vie d’un fruit de connaître ces instants bruyants, vivants où, soudainement, avant de passer à trépas, l’ananas, après avoir été élevée (oui, féminisons ce si beau fruit !), se sent enfin désirée. Sur l’îleMaurice, lesmarchés abondent. C’est comme un sport national. Toutes les communautés confondues s’y retrouvent. On y croise même parfois des touristes élevés hors sol, maîtrisés génétiquement. Celui de Port-Louis est le plus connu. Il est formidable dans sa diversité, ses petites échoppes, ses nourritures de rue (« street food » pour parler comme dans les journaux) et le bonheur de vivre ensemble. Mais si vous cherchez une expérience unique, authentique, mieux vaut sortir des sentiers battus et vous rendre vers des pépites de vie et d’animation, à savoir les marchés de Goodlands, au sud de Grand Gaube, ou encore celui de Mahébourg. Non, ne nous remerciez pas, c’est un plaisir de vous embarquer ailleurs. FIER ET GÉNÉREUX Regardez bien l’ananas de l’île Maurice. Elle n’est pas bien grande (15 à 20 cm). C’est loin d’être un défaut. Les spécialistes viendront même vous glisser à l’oreille que vous tenez-là la reine (c’est du reste le nom de la variété : Queen) et plus précisément de la reine Victoria, sans aucun doute la meilleure variété de l’ananas, celle revendiquée par les grands restaurants. L’ananas a du caractère. Visez sa robe en écailles, jouant les hexagonales, prisant les diagonales. C’est comme un plastron, une cotte de mailles. Une sorte de fierté, limite arrogante comme s’il fallait cacher un trésor. Ce qui est le cas. L’ananas a beaucoup d’arguments. Des vitamines à gogo, de la fibre, de la bonne humeur, des oligo-éléments. Grosso modo, elle vous aide à mieux digérer, à bien vous nourrir sans trop apporter de sucre (tout est là). Elle a donc un bon caractère. Voilà pourquoi aussi, elle arrive dans la cuisine comme une matrone. Non point pour faire la loi, loin de là, mais pour aider, débarrasser, accompagner, soulever les plats. Elle fait tout le boulot. Apaise les viandes, les amadoue (dans le registre sucré salé). Elle avive les poissons, les déplace vers une autre chanson. Elle donne de la vie aux salades, des sourires, et fonce droit dans le buffet question desserts: mousse, crumble, jus, gâteaux. On la retrouve dans sa nature. Fière certes, mais généreuse. 

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