Beachcomber Magazine 04

mes origines. Quand je me suis mise à écrire, j’ai imaginé une nouvelle version de Paul et Virginie transposée aujourd’hui. Je me suis inspirée de la romancière britannique Jean Rhys qui avait écrit, dans Wide Sargasso Sea (La prisonnière des Sargasses) , sur une trame narrative en marge de Jane Eyre , l’enfance et la vie de l’un des personnages secondaires du roman de Charlotte Brontë. Au fond, mon roman est un exercice de cannibalisme. Je me suis emparée d’unmythe littéraire, et aussi mauricien, et tout en en gardant la structure, j’ai tout changé. Paul et Virginie ont la même mère. Ils ont quitté l’île enfants. Ils ne sont pas blancs mais métis. Ce ne sont pas des adolescents, mais des jeunes adultes. Le roman initial était très pastoral, le mien est très urbain. Bernardin de Saint- Pierre était un colon français de passage sur l’île, je suis anglaise, fille d’exilés mauriciens. » FIGURES DE L’EXIL À la fin des années 1960, les grands- parents de Natasha Soobramanien ont émigré en Angleterre et sont restés. Leurs origines plus lointaines se trouvaient en Chine, en Inde, en Écosse, en France, au Portugal. Le père de Natasha Soobramanien travaillait pour l’Armée de l’air, sa mère était secrétaire bilingue français- anglais. Ses deux héros, Genie et Paul, représentent deux figures de l’exil. Paul idéalise ses souvenirs d’enfance à Maurice, il est obnubilé par le fantôme de son demi-frère mort. Inconsolable, il retourne sur l’île parce qu’il pense que sa vraie place est là. Genie, qui part à sa recherche sur leur terre natale, est pragmatique, elle sait s’adapter, elle est anglaise même si elle est attachée à ses racines. Pour elle, il n’y a pas de paradis sur terre. « Paul et Genie sont à un âge où l’on construit son identité, où l’on cherche sa place, sa maison », explique Natasha Soobramanien. Comme le dit Genie dans le roman : « Tout le monde était un bâtard sur cette île bâtarde – cet enfant illégitime de l’Angleterre et de la France abandonné et qui avait grandi comme un sauvage sous les tropiques. » « SAGREN » Aujourd’hui, elle écrit un nouveau roman sur Diego Garcia, un atoll au sud de l’archipel des Chagos, restée possession britannique mais dont Maurice revendique la souveraineté. Depuis plusieurs décennies, Diego Garcia est devenue une base militaire américaine. Déportés, les habitants des Chagos ont dû quitter l’archipel pour Maurice ou les Seychelles, et la plupart n’ont pas supporté cet exil forcé. Ils réclament la fermeture de la base américaine et de pouvoir retourner chez eux. Certains sont morts soudainement, sans cause apparente. On dit que le « sagren » les a tués. « Sagren » veut dire le chagrin, la mélancolie de la perte, le regret du paradis perdu. Celui-là même qui consume Paul, tel que ressuscité par Natasha. 

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