Beachcomber Magazine 05

D erniers préparatifs pour les chevaux dans les écuries de la rue Shakespeare qui longe l’hippodrome du Champ de Mars à Port Louis. À quelques mètres de là, séance de pesage des jockeys dans le très select Mauritius Turf Club. Le Juge au pesage, l’œil rivé sur la balance, équilibre le poids des jockeys par rapport à celui de leur cheval à l’aide de disques de plomb qui seront glissés sous leur selle. Un tour de paddock sous le regard d’un public restreint et élégant. Un premier signal de trompette, l’agitation se fait sentir. Deuxième appel, les propriétaires regagnent les loges quand la foule, d’un même mouvement, se presse autour de la piste. Un à un les chevaux, ultra-nerveux, cagoulés ou munis d’œillères, sont conduits par les palefreniers sur la piste d’échauffement avant de venir s’aligner, de gré ou de force, dans les stalles de départ. LES MAÎTRES DU TEMPS 1 minute 24 secondes 1/10 sur 1 400 mètres. C’est le temps de la dernière Duchess of York, une des quatre courses « classiques », qui ouvre la saison. De l’élan initial, dans le fracas des stalles en fer qui brusquement délivrent les chevaux ivres d’espace, jusqu’au dernier virage avant la ligne droite finale, les jeunes pur-sang luisants sous le soleil volent presque à l’horizontale autour de la piste – leurs jockeys, en suspens au-dessus des enco- lures. Filent les casaques à près de 60 km/h alors que le peloton volant ondoie de la corde vers l’extérieur. « Les “coursiers” gardent une part sauvage en eux. Il faut réveiller leur instinct de fuite, qu’ils courent comme s’ils étaient chassés par un guépard ! » dit le jockey français Olivier Plaçais qui revêt cette saison la casaque bleu électrique, écharpe et toque rouges de l’écurie Gujadhur. Dans les 200 derniers mètres, sous les cravaches à tous crins, les partants sont « à plat ventre », tandis que la foule n’est plus qu’un corps hurlant. Au bord de la piste comme dans les loges, badauds ou propriétaires, tous passionnés, oscillent entre sidération, effroi et exaltation. Dans cette minute et quelques secondes en or afflue le travail de toute une année, de toute une équipe – palefreniers, assistants, jockeys, doublures, en- traîneurs, vétérinaires – de toute une vie et, parfois même d’une dynastie entière. Ainsi le clan des Gujadhur. LANAISSANCED’UNEDYNASTIE L’écurie Gujadhur, fondée par Rajcoomar Gujadhur vers 1907, doit sa renommée à la lignée de ses chefs de famille-propriétaires- entraineurs qui ont su transmettre, d’une génération à l’autre, la passion équine héritée d’ancêtres Rajahs originaires de l’État du Bihâr en Inde. « Les Anglais ont introduit les courses du Champ de Mars – le plus vieil hippodrome de l’hémisphère sud, inauguré en 1812 – pour rapprocher les vainqueurs (les colons anglais) et les vaincus (les Français), et susciter une cohésion sociale parmi la population pluriethnique », commente Hemant Kumar, fils aîné de l’actuel propriétaire Rampatee Gujadhur, qui assiste son père à l’entraînement. « Les premières écuries indo-mauriciennes étaient largement soutenues par la popu- lation. C’est en 1912 que le coursier Aéroplane nous a offert une pre- mière victoire. Le mérite de l’écurie Gujadhur réside dans sa longévité et ses nombreuses réussites. » Dans la loge Gujadhur, des photos au mur retracent les victoires mémorables. Une photographie colorisée représente Damoiselle et son propriétaire coiffé d’un turban, à Calcutta en 1918. Une autre photo, immortalise les deux complices légendaires de l’écurie : Sir Radha- mohun, fils du fondateur, figure de la scène hippique mais aussi politique (parlementaire etmaire de Port Louis), et son oncle, Gunness (Ton Mica). Frisky horses entering the Champ de Mars racecourse grass track. L’entrée des coursiers nerveux sur la piste de gazon du Champ de Mars. 

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