Beachcomber Magazine 06

NO 6 M A G A Z I N E

An oasis of luxury and serenity Une oasis de luxe et de sérénité

+230 484 1991 agen8@qualitybuilders.mu www.qualitybuilders.mu

WORDS BEACHCOMBER 4 THE ART OF BEAUTIFUL ailleurs, flavour, colour, langueur, douceur, grandeur, flower, leker, œuvre, caress, lamer, tenderness, liesse, arkansiel, éveil, rituel, merveille, délicatesse, secret, souffle, amour, source, lesiel, desire, island, infinity, soupir, sourire, vivre, dekouvert, origine, harmonie, énergie, récit, grâce, kamarad, hasard, charm, fam, escale, echo, poezi, pierre, presence, plénitude, pleasure, promesse, partage, parole, lazwa, joie, jeu, jour, jouissance, impermanence, essence, experience, connaissance, raffinement, transparence, dépassement, limazinasion, mouvement, mélodie, sense, elegance, chant, artizan, art, ocean, ode, osmosis, aurora, aube, fulgurance, bonté, danse, fragrance, évidence, alizé, silence, ici, rezilians, succulence, sensuality, suavité, insularité, intensité, lamitie, lespwar, ouverture, échappée, immensité, liberté, hospitalité, générosité, volupté, beauté, sérendipité, équipée, intériorité, légèreté, invité, lape, odyssey, fluidité, servolan, passager, retrouvailles, lagon, lien, parfum, chemin, bien-être, lumière, lalimier, être, ephemeral, air, nature, allure, constellation, emotion, création, exception, intuition, don, monde, passion, inspiration, vibration, respiration, celebration © Fiona Nòve for Beachcomber Magazine.

The island breathes again: free, profound, intact… After more than a year of seclusion, theworld is opening up at last and, with it, the promise of the island. You havemissed it, and it missed you too. In these difficult months of isolation, it has been preparing to welcome you back. So it is with nature, strengthened and regenerated by these long periods of solitude. More enchanted than ever, it reverberates with magnificence and generosity. So it is with the Mauritian people who want nothing more than to revive the ancient and fraternal relationship with international visitors, the human and economic actors essential for the island’s vitality. So it is with the Beachcomber Group who has used this suspended time to anticipate the environmental needs of the planet, equipping its resorts with eco-friendly infrastructure and increasing its commitments to boost health and well-being. Not forgetting the benevolent presence of the Beachcomber Artisans who, as ever, personify the island’s golden rule of hospitality. Like “The Star and Key of the Indian Ocean” – as the island is also known –, they shine with unparalleled joy. Finally, to pass on this current of hope, Beachcomber Magazine is dedicating this issue to the island’s most magical places – sacred mountains, the Flamboyant trees in bloom, the south coast – and to remarkable personalities who all share “the taste of Mauritius.” EDITORIAL Virginie Luc, Chief Editor L’île comme une respiration libre, profonde, intacte… Après plus d’une année de réclusion, le monde s’ouvre enfin et, avec lui, la promesse de l’île. Elle vous a manqué, vous lui avez manqué aussi. Dans l’épreuve de l’absence, elle s’est appliquée à préparer vos retrouvailles. Ainsi la nature. Ces longs mois de solitude l’ont fortifiée et régénérée. Plus enchantée que jamais, elle resplendit avec faste et générosité. Ainsi le peuple mauricien qui n’aspire qu’à renouer le lien séculaire et fraternel avec les voyageurs internationaux, acteurs humains et économiques indispensables au dynamisme de l’île. Ainsi le Groupe Beachcomber qui a su mettre à profit ce temps suspendu pour devancer les besoins environnementaux de la planète, équipant ses resorts d’infrastructures écoresponsables et redoublant d’engagements en faveur des normes sanitaires et du bien-être. Sans compter la présence bienveillante des Artisans Beachcomber qui, toujours, incarnent la règle d’or de l’île : l’hospitalité. Comme « l’Étoile et la Clé de l’océan Indien » – l’autre nom de l’île –, ils rayonnent d’une joie sans égale. Enfin, pour porter ce vent d’espoir, Beachcomber Magazine dédie ce numéro aux lieux les plus magiques de l’île – des montagnes sacrées, les flamboyants en fleurs, la côte sud –, ainsi qu’à des personnalités remarquables qui toutes partagent « le goût de Maurice ».

JANUARY - JUNE 2022 THE ART OF FRIENDSHIP DENIS BROGNIART TASTE OF MAURITIUS LE GOÛT DE MAURICE by Fanny Riva & Alain Issock p. 10 BEAUTIFUL STORY THE PIETER BOTH A MAGIC MOUNTAIN LA MONTAGNE MAGIQUE by Antoine de Gaudemar & Laval Ng p. 14 BEAUTIFUL MAURITIUS THE WILD SOUTH LE SUD SAUVAGE by Virginie Luc &Vincent Leroux p. 20 THE ART OF ENCOUNTER ANANDA DEVI VOICE AND SMELL OF MOTHER EARTH LA VOIX ET L’ODEUR DE LA TERRE-MÈRE by Antoine de Gaudemar & Damien Grenon p. 36 LINLEY MARTHE MARTHE’S WORLD LE MONDE SELON MARTHE by Lisa Ducasse & ClaudeWeber p. 40 JO-WILFRIED TSONGA ADVANTAGE: MIXED RACE AVANTAGE : MÉTISSAGE by Gilbert Deville & Clyde KoaWing p. 44 DEAN BURMESTER GOLF, A FAMILY HISTORY GOLF, UNE HISTOIRE DE FAMILLE by Bérénice Debras & Arnaud Späni p. 48 BEAUTIFUL STORY 14 20 THE ART OF ENCOUNTER 3 6 CONTENTS SOMMAIRE BEACHCOMBER MAGAZINE NO 6 6 BEAUTIFUL MAURITIUS

IRFAN RAHMAN PILGRIM OF DEMOCRACY PÉLERIN DE LA DÉMOCRATIE by Virginie Luc &Vincent Leroux p. 52 THE ART OF DISCOVERY MONUMENT MOUTAINS IN DODOLAND LES MONTAGNES-MONUMENTS by Amenah Jahangeer-Chojoo & Patrick Laverdant p. 56 THE FLAME TREE L’ARBRE DE FEU by Bérénice Debras & Arnaud Späni p. 70 THE ART OF ART SIMON BACK COMBAT CORPS-À-CORPS by Virginie Luc &Vincent Leroux p. 80 THE ART OF TASTE LITCHIS, A TOUGH NUT WITH A TENDER HEART LE PETIT DUR AU CŒUR TENDRE by François Simon p. 88 CHEF RONAN KERVARREC BRINGING BACK CHILDHOOD FAIRE REVIVRE L’ENFANCE by Gilbert Deville & Clyde KoaWing p. 92 THE ART OF BEAUTIFUL BEACHCOMBER ARTISAN LEENA MULLOO by Fanny Riva &Vincent Leroux BEACHCOMBER RESORTS OF PLACES & MEN DES HOMMES ET DES LIEUX by Virginie Luc & Fiona Nòve p. 95 SAVE THE DATE VOS RENDEZ-VOUS p. 116 THE ART OF DISCOVERY 56 THE ART OF ART THE ART OF BEAUTIFUL 95 80 JANUARY - JUNE 2022 BEACHCOMBER MAGAZINE NO 6 8

#IleMaurice #BeachcomberExperience www.beachcomber.com Nos artisans nourrissent un parti pris radical : celui d’injecter la même passion dans chaque geste. Nous vous souhaitons la bienvenue dans cet espace où la générosité de la nature n’a d’égale que celle des hommes qui l’habitent. The Art of Beautiful

ADVENTURER THE ART OF FRIENDSHIP 10 “ONE WORD DESCRIBES THE ISLAND TO PERFECTION: PARADIS.” « POUR DÉCRIRE L'ÎLE, UN MOT SUFFIT : LE PARADIS ».

Denis Brogniart TASTE OF MAURITIUS LE GOÛT DE MAURICE The French journalist Denis Brogniart, presenter of the TV programme Koh-Lanta, talks of his love of the island and his hopes of returning to its inhabitants, its generous nature and its breath-taking landscapes. Le journaliste et globe-trotter français Denis Brogniart, animateur de l’émission Koh-Lanta, évoque son goût de l’île et son aspiration à retrouver ses habitants, sa nature généreuse, ses paysages à couper le souffle. BY FANNY RIVA - PHOTOGRAPH ALAIN ISSOCK How and when did you discover Mauritius? I discovered Mauritius 30 years ago. I stayed at the Trou aux Biches Beachcomber, and travelled along the west coast and up north, in Pereybère. Since then, I have been back there over twenty times, as I regularly organise the Beachcomber Aventure, a fun, energetic meet-up that brings together the best travel agents. What attracts you in Mauritius? The landscapes, the ocean and the lagoon, the beaches, the mountains and the dense forest: a scenic variety that provides an amazing diversity of sporting activities: kite-surfing on Le Morne, deep-sea diving off the Grand Baie or a trail run in the gorges of Rivière Noire. But what I love most are the island’s inhabitants. I love the population, their mixed roots, their art of living together, their welcoming nature. Dialogue is spontaneous, peaceable and calm. The island is made for tourism – in the noble sense of the term – and it is essential, for the economy and for the inhabitants, that tourists from all over the world can come back here. What feelings does the island evoke in you? The island exudes a truly peaceful atmosphere. It is everywhere in the rolling of the waves over the coral reef. Mauritius is a palette of colours: the golden sunset over the sea, the white sand, the different blues in the sea, the nuances of green in the luxuriant forests. One word describes Mauritius to perfection: paradise. The first thing I will do on arriving is to climb to the top of Le Morne to take in the fabulous views.  Comment et quand avez-vous découvert l’île Maurice ? J’ai découvert l’île Maurice il y a 30 ans. Je séjournais au Trou aux Biches Beachcomber. J’ai rayonné le long de la côte ouest et dans le Nord, à Pereybère. Depuis lors, j’y suis retourné plus de vingt fois, puisque j’organise régulièrement les éditions Beachcomber Aventure, un rendez-vous sportif et ludique qui réunit les meilleurs agents de voyages. Qu’est-cequi vous séduit àMaurice ? Les paysages, l’océan et le lagon, les plages, les montagnes, la forêt dense… Une variété géographique qui offre une incroyable diversité d’activités sportives – kitesurf au Morne, plongée sous-marine au large de Grand Baie ou trail dans les gorges de Rivière Noire… Mais ce qui me séduit par-dessus tout, ce sont les habitants de l’île. J’aime sa population, sonmétissage, son art du vivre-ensemble, son sens de l’accueil. Spontanément, le dialogue s’instaure, paisible et serein. L’île est tournée vers le tourisme – au sens noble du terme –, et il est primordial, pour l’économie comme pour ses habitants, que les touristes du monde entier puissent revenir. Quelles sensations l’île éveille-telle en vous ? L’île distille un réel climat de paix. Elle est tout entière dans le roulement des vagues sur la barrière de corail. Maurice, c’est une palette de couleurs : l’or du coucher de soleil sur la mer, le blanc du sable, les dégradés de bleu sur l’océan, les nuances de vert des forêts. Pour décrire l’île Maurice, un mot suffit : le paradis. La première chose que je ferai en arrivant c’est de grimper au sommet du Morne pour m’enivrer de la vue extraordinaire. 

LE PIETER BOTH, LA MONTAGNE MAGIQUE A huge round rock delicately balanced on a dizzying peak. The extraordinary drawing of the Pieter Both, in the northwest centre of the island, in the Moka mountain range, enchanted the poets and has been the stuff of fairy tales. Un énorme rocher rond en fragile équilibre sur un piton vertigineux. Le dessin extraordinaire du Pieter Both, situé au centre nord-ouest de l’île, dans la chaîne de Moka, a nourri des légendes féeriques et enchanté les poètes. BY ANTOINE DE GAUDEMAR WATERCOLOURS LAVAL NG The Pieter Both A MAGIC MOUNTAIN BEAUTIFUL STORY 14

The second highest mountain in Mauritius, peaking at 820 metres above the Indian Ocean, owes its name to Pieter Both (1568-1615) a Governor General of the Dutch East Indies who died in a shipwreck off the island. First conquered in 1790 by an intrepid French cutler named Claude Pellé, its access remains difficult because of its steep slopes – although iron bars sealed into the rock make the last part of the climb much easier. At the top, the breathtaking panorama encompasses Port Louis, the ocean and as far as the plain of Pamplemousses. THE LEGEND OF STONES Depending on which angle you see it from, the mountain looks almost human. You can almost imagine its head, resting on a basalt body, leaning slightly towards the sky. Like its neighbour Le Pouce, the silhouette of the Pieter Both, also known as Mouria Pahar, has long fed the imaginations of Mauritians and visitors. The most famous legend, with many variations, tells of a milkman from Crève Cœur named Shyantak. One evening, in a hurry to get home, he found a short-cut on the slopes of the Pieter Both. On the way he grew tired, and fell asleep in the forest. On awakening, he surprised a group of fairies dancing in the moonlight. In spite of the outrage, they allowed him to take this path every evening, on condition that he should never reveal their presence. The man promised, and kept his word, until one evening, having drunk too much, he revealed his secret to a few friends. The furious fairies petrified him on the spot into the huge rock on top of the mountain. Another legend dating back to the time of slavery tells that the English would leave Mauritius the day the enormous rock fell. The English left, but the rock is still hanging in the balance… A FULL CHARACTER The Pieter Both has also inspired writers and poets, fascinated by its extraordinary appearance. Bernardin de Saint-Pierre, who set up the little farming community where Paul and Virginie lived, the two young heroes of his famous novel, in the Vallée des Prêtres, at the foot of the cliffs beneath the Pieter Both. In a text published in 1927 in L’Essor, a literary journal in Port Louis, the writer and journalist Léoville L’Homme, said to be the “father of Mauritian literature”, saw in this stone totem “a monk dressed in a large habit, sitting on the edge of an abyss” who “was praying and meditating, his eyes fixed on the distant horizon.” Shortly before that, Jules Hermann from Reunion, who invented the myth of Lémurie, a submerged austral sub-continent of which Mauritius is said to be the emerged vestige, landed in Mauritius. Amazed by the supernatural shapes of its mountains, he thought he saw a “lama praying on the top of the Pieter Both.” For Malcolm de Chazal, in Mauritius “the mountain speaks, it is the mythical peak.” In his mythical cosmogony, the Pieter Both was  Nourished by the legends of this magic mountain, the Mauritian artist Laval Ng adds colours to shape his visions : the governor Pieter Both – disappeared at sea – and his stone ghost, the dance of the vengeful fairies, the man with a stone head, the visionary poet Malcolm de Chazal in contemplation in front of the stone totem. L’artiste mauricien Laval Ng, bercé par les légendes de cette montagne magique, colorie les contours de ses visions : le gouverneur Pieter Both – disparu en mer – et son fantôme de pierre, le bal des fées vengeresses, l’homme à la tête en forme de pierre, le poète visionnaire Malcolm de Chazal en contemplation devant le totem de pierre.

long cursed. Far from seeing a contemplative silhouette, he “discovered” on its abrupt slopes twelve terrifying figures cut into the stone, “the twelve apostles of evil.” He believed that this Gehenna engendered only “witchcraft, idolatry, and all kinds of cruelty”… Years later, the Mauritian artist and poet would dream of a far less apocalyptic “Malcolmland”, a sort of anti-Disneyland, at Vallée des Prêtres, in the foothills of the Pieter Both: a fairy kingdom in a hanging garden where “the world of adults would become one with that of children.” The great traveller, though at heart a Mauritian, J-M. G. Le Clézio, whose ancestors’ property is in Moka, very near the Pieter Both, one day climbed an extremely steep mountain on an island in the Vanuatu archipelago, in the Pacific Ocean. There, suddenly, the resemblance with the “black tooth of Pieter Both,” on the other side of the world, struck him hard. “I think,” wrote the author, “of when my father climbed it, when he was more or less the same age. It is memories like these that make you really belong to an island.”  Le deuxième sommet de Maurice, culminant à 820 mètres au-dessus de l’océan Indien, fut nommé en l’honneur du gouverneur général des Indes néerlandaises Pieter Both (1568-1615) qui trouva la mort dans un naufrage au large de l’île. Gravie pour la première fois en 1790 par un coutelier intrépide, un Français du nom de Claude Pellé, elle reste difficile d’accès en raison de sa forte déclivité, même si des barreaux de fer scellés dans la roche facilitent l’ascension finale. Là-haut, le panorama saisissant embrasse PortLouis, l’océan et jusqu’à la plaine de Pamplemousses.  BEAUTIFUL STORY 16 LA LÉGENDE DES PIERRES Selon l'angle de vue, la montagne s’offre presque humaine. On croit deviner, posée sur un corps de basalte, sa tête légèrement inclinée vers le ciel. Comme sa voisine la montagne du Pouce, la silhouette du Pieter Both, également appelé Mouria Pahar, nourrit depuis toujours l’imaginaire des Mauriciens comme celui des voyageurs. La légende la plus connue, aux variantes multiples, raconte l’histoire d’un laitier de Crève Cœur, nommé Shyantak. Un soir, pressé de rentrer chez lui, il trouva un raccourci sur les pentes du Pieter Both. Chemin faisant, fatigué, il s’endormit dans la forêt et surprit à son réveil un groupe de fées qui dansaient au clair de lune. Outrées par cette indiscrétion, les fées l’autorisèrent néanmoins à emprunter cet itinéraire tous les soirs, à condition qu’il ne révèle jamais leur présence. Le laitier promit et obéit, jusqu’à ce qu’un soir d’ivresse, il finisse par révéler son secret à quelques amis. Furieuses, les fées le pétrifièrent aussitôt sous la forme de l’énorme rocher qui coiffe la montagne. Une autre légende datant

de l’époque de l’esclavage disait que les Anglais quitteraient Maurice le jour où l’énorme rocher tomberait. Les Anglais sont partis mais le rocher joue toujours les équilibristes… UN PERSONNAGE À PART ENTIÈRE Le Pieter Both a aussi inspiré écrivains et poètes, fascinés par son extraordinaire apparence. Bernardin de Saint-Pierre situe la petite colonie agricole où vivent Paul et Virginie, les deux jeunes héros de son célèbre roman, à Vallée des Prêtres, au pied des falaises du Pieter Both. Dans un texte publié en 1927 dans L’Essor, revue littéraire de Port-Louis, l’écrivain et journaliste Léoville L’Homme, qu’on considère comme « le père de la littérature mauricienne », voyait dans ce totem de pierre « un moine vêtu de l’ample froc, siégeant au bord d’un abîme », qui « prie et médite, l’œil dans les lointains perdus ». Peu auparavant, le Réunionnais Jules Hermann, inventeur du mythe de la Lémurie, souscontinent austral englouti dont Maurice serait le vestige émergé, débarquait à Maurice. Sidéré par les formes surnaturelles de ses montagnes, il eut la vision d’un « lama priant sur la tête du Pieter Both ». Pour Malcolm de Chazal, à Maurice « la montagne parle, elle est le pic du mythe ». Dans sa cosmogonie fantasmagorique, le Pieter Both a été longtemps maudit. Loin d’y distinguer une silhouette contemplative, il « découvre » sur ses abruptes parois douze figures terrifiantes découpées dans la pierre, « les douze apôtres du mal ». Cette géhenne n’a selon lui engendré que « sorcellerie, idolâtrie, et cruautés de toutes sortes »… Des années plus tard, de manière moins apocalyptique, le peintre et poète mauricien rêvera d’un « Malcolmland », une sorte d’antiDisneyland, à Vallée des Prêtres, sur les contreforts du Pieter Both : un royaume des fées dans un jardin suspendu où « le monde des adultes fera corps avec celui des enfants »… Grand voyageur mais Mauricien de cœur, J-M. G. Le Clézio, dont la propriété des ancêtres se trouve à Moka tout près du Pieter Both, escalada un jour une montagne extrêmement pentue sur une île de l’archipel de Vanuatu, dans l’océan Pacifique. Et là, soudain, la ressemblance avec la « dent noire du Pieter Both », à l’autre bout du monde, lui apparut « frappante ». « Je pense, écrivit alors l’écrivain, à l’escalade que mon père en a faite, quand il avait à peu près le même âge. Ce sont ces souvenirs qui font qu’on appartient vraiment à une île ». 

BEAUTIFUL MAURITIUS

SOUTH WILD LE SUD SAUVAGE From Morne Brabant to the Montagne du Lion. Heading south. A journey in reverse where nature and the local inhabitants once again rule supreme. A treasure to discover with respect and pride. Du Morne Brabant à la montagne du Lion. Plein sud. Un voyage à rebours, où la nature et les habitants recouvrent leur souveraineté. Un trésor à découvrir avec respect et fierté. BY VIRGINIE LUC - PHOTOGRAPHS VINCENT LEROUX ROAD TRIP BEAUTIFUL MAURITIUS 20 THE

La Prairie is one of the most beautiful beaches in Mauritius, and certainly the least domesticated. La Prairie est l’une des plus belles plages de Maurice et sans doute la moins domestiquée.

MAURITIUS PORT LOUIS TAMARIN ÎLE AUX BÉNITIERS CASCADES CHAMAREL GORGES DE LA RIVIÈRE NOIRE BAIE DE JACOTET BAIE DU CAP PLAGE DU GRIS-GRIS LA ROCHE QUI PLEURE ROCHESTER FALLS LE SOUFFLEUR TROIS-BOUTIQUES ÎLE AUX CERFS BEL OMBRE CHEMIN GRENIER RIVIÈRE DES ANGUILLES SOUILLAC BOIS CHÉRI PLAINE MAGNIEN MAHEBOURG VIEUX GRAND PORT ROAD TRIP BEAUTIFUL MAURITIUS 22 Early in the morning, the village of Le Morne. The mountain casts a shadow over the still lagoon. The locals live with the ebb and flow of the tides – and Sundays are family time at the beach, jamming on ravannes (the Mauritian goat-skin tambour), playing football and rummy, the local card game. “We farm the land, we live from fishing. Some people have jobs in the hotels. Few really succeed. It’s hard for the youngsters.” MarieJeanne is 84. “We live simple lives. But I wouldn’t be anywhere else for the world.” Definitely not in Canada like her children and grandchildren. Nor anywhere else on the island such as the towns of Quatre Bornes or Port Louis. “Here we help each other out. Obviously there’s gossip and that causes a bit of trouble. But the whole village is there for weddings and wakes. There’ll be plenty of people to see me off,” smiles the With over 6,500 hectares of forest, the Gorges de Rivière Noire National Park covers nearly 3% of the island, looking down on it from Piton de la Petite Rivière Noire, at 828 metres. Avec plus de 6500 hectares de forêts le Parc National des Gorges de Rivière Noire recouvre près de 3% de l’île et la surplombe du haut du Piton de la Petite Rivière Noire, à 828 mètres. 

The grand finale of the Ganesh Chaturthi procession in Baie du Cap. The god’s statuettes are placed in the purifying water. Le grand final de la procession de Ganesh Chaturthi à Baie du Cap. Les statuettes du dieu sont déposées dans l’eau purificatrice.

ROAD TRIP BEAUTIFUL MAURITIUS 24 old lady. She is sitting under a bus shelter, but she is not waiting for anything. She’s just enjoying the “lontan” (could this mean long temps, the fact that time is long, or the lointain – the far distance?). The neighbouring village is preparing for the processions in honour of Ganesh Chaturthi, she won’t go but she’s glad that there’s plenty going on. The festival celebrating the birth of the god Ganesh is in full swing in Baie du Cap. Banners strung with red pennants decorate the roadside along which the procession passes. The packed cortege of saris and dhotis advances, bearing Left: sugar cane cutter at Chemin Grenier. Right: the Pont Naturel was carved out over time in the basalt rocks battered by the ocean waves. À gauche : coupeur de canne à Chemin Grenier. À droite : le « Pont naturel » s’est formé au fil du temps dans les roches basaltiques assaillies par les vagues océanes. Right page: the village of Le Morne, dominated by the mountain-refuge, listed on the UNESCO World Heritage register. Page de droite : le village du Morne, dominé par la montagne-refuge, classée au patrimoine mondial de l’Unesco. clay statues aloft to the seashore where they will be buried (along with people’s sins). The air is heavy with incense and sandalwood, shouts and mantras, floral wreathes and camphor. Once the lengthy litanies, prayers and offerings are over and the statues are buried, the officiants hand out apples to everyone present. LIKE A STRING OF PEARLS Only history and geography could dream up such place names as Bel Ombre (Beautiful Shade). Was the village named after the cool shade provided by the majestic tree at the entrance to this former sugar  

ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 26 estate? Or after the freshwater fish, which does not even live in the waters of Mauritius? It’s a mystery. All that’s left is the “Chateau” – a magnificent colonial residence with a French-style garden – built by an Indian nabob who never came to visit it. When it comes to history, the Baie de Jacotet no longer remembers the sunken ships or how the battle of Grand-Port began. The bay now belongs to the kite surfers, as does Îlot Sancho, whose only treasure is the endemic fruit bushes that produce Jacquot apples. The rolling of the drums of war has been replaced by the washing of the sea on the polished pebbles of Rivière des Galets beach and by the roaring of the ocean waves, undisturbed by coral reefs. In Gris-Gris (a name that evokes old voodoo practices), the land belongs to the ocean. The rugged coastline battles to fend off the ocean’s attacks. Climb to the summit of Macondé Rock to observe the unfettered coupling of the elements and the creation of wind trails across the water. IN THE SHADOW OF THE POET Finally, you arrive at the gem of the south, Souillac (named after the late 18th-century governor general). The Telfair Gardens (where Malcolm de Chazal was said to have found the creative inspiration for the ending of his cult novel, Petrusmok), located above a golden cove where enormous banyan trees provide shade for lovers, are somewhere to visit time and again. On a volcanic outcrop opposite, the Marine Cemetery is full of flowers and crumbling graves. Among them is the tomb of the poet Robert E. Hart whose epitaph ends: “Here I lie. My whole heart is betrothed to your sky.” He lived for many years in a simple coral house called La Nef (the Nave) that provided him with shelter and living inspiration for his poetry. Out on his small terrace facing the ocean, his poem “Nostalgias” comes to life: “All the dreams of Asia/ all the perfumes of Africa,/ all the fanciful poetry/ come to me this evening on the Indian Ocean breeze.” Even nature pays tribute to him. The sea appears to have sculpted his image in La Roche qui Pleure (Weeping Rock). Before heading across the parched plains of Savanne, the road hugs for one last time the untameable master of this place: the ocean, which has preserved the area from all human construction. Although it hasn’t stopped nature from creating the Pont Naturel, a natural bridge carved out of the rock, suspended above the waves. IN THE SOUTHERN TERRITORIES Grand Bassin, of course, filled with holywater fromtheGanges for the Hindus. Chamarel, a pilgrimage destination for Catholics on St Anne’s Day, with its multicoloured volcanic earth dunes and 100-metre high waterfall. But most of all, early in the morning, in the company of the coqs des bois (so named because these birds wake the entire forest), contemplating daybreak from the Black River Gorges, the silence enveloping the sweeping mountains that extend far out on the horizon. Bois Chéri, the fields of tea, the family-run factory, the morning harvest, the women carefully selecting the leaves, plucking only the three youngest ones on each plant. Meeting Azad, 59, who has spent his life working in the factory (employed to pack the loose tea at the age of fourteen, he is now director of public relations), and will leave his two children the gift of “a town and a future.” And then, way after Rochester Falls which are forever sculpting minimalist steles from black basalt, the road to L’Escalier crosses the old railway bridge. Only sugarcaneladen trucks leave tracks in the dust. No one stops here, apart from a few stray dogs. But rarely has nature offered such a sumptuous Premila runs the little Cajun and Creole restaurant, La Marmite, in Chamarel. Premila tient le petit restaurant cajun et créole, La Marmite, à Chamarel.  

Consecrated in Ganga Talao (Grand Bassin) in 2017, the world's largest statue of the goddess Durga is 108 feet tall, a sacred number in the Hindu faith. Consacrée à Ganga Talao (Grand Bassin) en 2017, la plus grande statue au monde de la déesse Durga mesure 33 mètres de haut, un nombre sacré dans l'hindouisme.

ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 28 Plucking tea in the Bois Chéri estate. Danwantee and Nirmala take only the youngest shoots at the top of the bushes. Cueillette du thé dans le domaine de Bois Chéri. Danwantee et Nirmala ne prélèvent que les plus jeunes pousses au sommet des arbustes.

show. The Anguilles river carves a passage through a luxuriant valley. The glistening light sketches unexpected shades of green. And then there’s the soundtrack as water ricochets, birds sing and the wind whistles through the foliage. MEMORY At the end of the road, on one of the world’s extremities, is the Montagne du Lion. Turning its back on the emptiness of the ocean, it stretches nonchalantly across Vieux Grand Port bay, offering only its profile to the “bourg (town centre) of Mahé.” It’s the end of winter. Mahébourg is intact in the soft light. From Jummah Mosque, the muezzin adds colour to the late afternoon. Close by, rehearsals are underway at Notre-Dame-des-Anges church: the youngsters in the choir sing to a guitar accompaniment, heralding a joyful mass. One by one, the Creole women enter the church, genuflecting slightly before sliding into the wooden benches. Soon all the bench backs are decorated with small colourful handbags. Tomorrow they’ll celebrate Father Laval. “Everyone is invited/there is love to go around,” so the chorus goes.  In Mauritius, nature is creative. La Roche qui pleure (the Weeping Rock) (left), carved by the waves, is thought to represent the profile of the Mauritian poet Robert E. Hart. The Chamarel waterfall (right), fed by the SaintDenis River, cascades from nearly a hundred metres in height. À Maurice, la nature est créative. La Roche qui pleure (gauche), sculptée par les vagues, représenterait le profil du poète mauricien Robert E. Hart. La cascade de Chamarel (droite), alimentée par la rivière SaintDenis, se déverse sur près de 100 mètres de hauteur. 

ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 30 The Château de Bel Ombre is a magnificent colonial residence with a French-style garden. Each detail tells the history of the island, right down to the wallpaper depicting the heroes of the novel Paul et Virginie. Le château de Bel Ombre est une magnifique demeure coloniale prolongée d’un jardin à la française. Chaque détail rappelle l’histoire de l’île, jusqu’au papier peint représentant les héros du roman Paul et Virginie.

The Jardin de Telfair, a haven of peace. Le Jardin de Telfair, un havre de paix.

ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 32 Tôt le matin, le village du Morne et l’ombre de la montagne portée sur le lagon immobile. Les habitants vivent au rythme de la marée – et les dimanches sont à la plage en famille, aux improvisations de ravannes, aux parties de foot et de cartes (romi). « On cultive la terre, on vit de la pêche. Certains ont un emploi à l'hôtel. Il y a peu d'élus. Pour les jeunes c’est difficile. » Marie-Jeanne a 84 ans. « On vit modestement, mais j'irais ailleurs pour rien au monde ». Sûrement pas au Canada comme ses enfants et petits-enfants. Ni même plus près, dans les villes de Quatre Bornes ou Port-Louis. « Ici on s’entraide. Bien sûr, ça palabre, ça crée des histoires. Mais tout le village est présent aux mariages et on veille ensemble nos morts. Je serai bien accompagnée », sourit la vieille dame. Elle est assise sous l’auvent de l’arrêt de bus, mais elle ne l’attend pas. Elle goûte seulement « le lontan » (est-ce le temps long ou le lointain ?). Elle n'ira pas au village voisin qui se prépare à accueillir les processions de Ganesh Chaturthi mais elle est heureuse de l'animation soudaine. La fête, qui célèbre la naissance du dieu, bat son plein à Baie du Cap. Des banderoles de drapeaux rouges ornent le parcours de la procession. Le cortège de sari et dhoti s’avance, compact, portant à bout de bras des statues d’argile jusqu’au rivage où elles seront immergées (ainsi que les péchés de tous les hommes). L’air est saturé d’encens et de santal, de cris et de mantras, de couronnes de fleurs et de camphre. Au terme de longues litanies, prières et offrandes, une fois les statues noyées, les officiants distribuent une pomme à chacun et à tous. COMME UN COLLIER DE PERLES Seules l’histoire et la géographie pouvaient souffler pareils noms de villages et lieux-dits. Comme Bel Ombre. Doit-il son nom à la fraîcheur que dispense l’arbre “HERE I LIE. MY WHOLE HEART IS BETROTHED TO YOUR SKY.” «ME VOICI. TOUT MON CŒUR SE FIANCE À TON CIEL». Robert E. Hart 

The island of Mouchoir Rouge from the peaceful Mahébourg Waterfront. Depuis la paisible Promenade de Mahébourg, l'île du Mouchoir Rouge.

sur la petite terrasse offerte au large pour que son poème Nostalgies prenne corps: « Tous les songes d’Asie, / tous les parfums d’Afrique, / toute la poésie chimérique / me viennent ce soir avec cette brise de la Mer Indienne ». Même la nature sait lui rendre hommage. Ainsi la mer aurait sculpté son profil dans La Roche qui pleure. Avant de tracer dans les plaines roussies de Savannah, la route s’éprend une dernière fois de l’indomptable maître des lieux, l’océan, qui a su les préserver de toute construction humaine. Mais pas naturelle. Témoin, le Pont Naturel, un pont creusé dans la roche par le ressac et suspendu au-dessus des vagues. DANS LES TERRES AUSTRALES Bien sûr il y a Grand Bassin, empli de l’eau sacrée du Gange pour les hindous. Il y a Chamarel, haut lieu de pèlerinage pour les catholiques le jour de Sainte-Anne. Ses dunes de terre volcanique au dégradé de couleurs chaudes et sa cascade de 100 mètres de haut. Mais surtout, tôt le matin, avec les coqs de bois (les oiseaux ainsi nommés parce qu’ils réveillent la forêt), la contemplation du jour depuis les Gorges de Rivière Noire. Le silence lisse le drapé des montagnes qui se déroule jusque sur l’horizon de la mer. Il y a Bois Chéri, les champs de thé, l’usine familiale, la cueillette matinale, la délicatesse des gestes des femmes : seules les trois plus jeunes feuilles de chaque plant sont cueillies. La rencontre avec Azad, 59 ans, qui a dédié sa vie à l’usine (employé à la mise en paquet du thé en vrac à l’âge de 14 ans, il est aujourd’hui directeur des relations publiques), offrant ainsi à ses deux enfants « la ville et un avenir ». Et puis, bien après les chutes de Rochester qui n’en finissent pas de sculpter des stèles minimalistes de basalte noir, la route de L’Escalier traverse le pont de l’ancienne voie ferrée. Seuls les camions chargés de cannes tracent des nuages de poussière. Personne ne s’arrête ici, hormis quelques chiens errants. Et pourtant, rarement le spectacle de la nature s’est montré si généreux. La rivière des Anguilles se fraye un passage dans une vallée luxuriante. Le ruissellement de la lumière lève une palette insoupçonnée de verts. Sans compter la bande-son : ricochets de l’eau, chant d’oiseaux, vent dans les feuillages. SOUVENIR Au terme de la route, à l’une des extrémités du monde, se dresse la montagne du Lion. Elle tourne le dos au vide de l’océan, s’étire nonchalante dans la baie de Vieux Grand Port et n’offre que son profil au « bourg de Mahé ». C’est la fin de l’hiver. Dans la lumière douce, Mahébourg est intacte. Depuis la mosquée Jummah, le muezzin colore la fin d’après-midi. Non loin de là, à Notre-Dame-des-Anges, la répétition a commencé : les chants de la jeune chorale, portés par les accords d’une guitare, annoncent une messe joyeuse. Des dames créoles une à une font leur entrée, exécutent une légère génuflexion avant de se glisser sur les bancs en bois. Bientôt tous les dossiers sont décorés de petits sacs à main colorés. Demain on célébrera le père Laval. « Chacun est invité/ L’amour est partagé », dit le refrain.  majestueux à l’entrée de l’ancien domaine sucrier ? Ou bien au poisson d’eau douce du même nom, pourtant inconnu des eaux mauriciennes ? Mystère. Reste le « château », une magnifique demeure coloniale prolongée d’un jardin à la française, construit par un nabab indien qui jamais n’est venu le visiter. La Baie du Jacotet, elle, ne se souvient plus des navires échoués ni des prémices de la bataille de Grand-Port. Elle est désormais aux riders de kitesurf, tout comme l’îlot Sancho qui n’abrite pour seul trésor que des arbustes fruitiers endémiques, les « pommes Jacquot ». Le roulement des tambours de guerre a laissé place à celui des pierres polies sur la plage de Rivière des Galets et au grondement des vagues océanes, libres de toute barrière de corail. À la hauteur de Gris-Gris (le nom laisse entendre des pratiques vaudoues anciennes), la terre est à l’océan. La côte accidentée livre un face-à-face aux assauts marins. Il faut monter au sommet du rocher de Macondé pour assister aux noces sans entrave des éléments et à la naissance des chemins de vent sur la mer. DANS L’OMBRE DU POÈTE Enfin s’offre la perle du Sud, Souillac (du nom du gouverneur général à la fin du XVIIIe siècle). Venir et revenir au jardin de Telfair (où Malcolm de Chazal aurait eu la révélation finale de son roman culte, Petrusmok), situé au-dessus d'une anse ronde et dorée et où d’immenses banians abritent les amoureux. En face, sur un promontoire volcanique, se déroule le cimetière marin, tout en fleurs et en tombes déglinguées. Parmi elles, celle du poète Robert E. Hart dont l’épitaphe se termine par ces mots : « Me voici. Tout mon cœur se fiance à ton ciel ». Longtemps il vécut dans une modeste maison recouverte de corail, la Nef, qui fut son abri et la source vive de son œuvre. Il suffit de se rendre ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 34 

ART THE OF

LITERATURE THE ART OF ENCOUNTER 36

Ananda Devi VOICE AND SMELL OF MOTHER EARTH LA VOIX ET L’ODEUR DE LA TERRE-MÈRE Born in Mauritius, Ananda Devi has lived in England, Africa, and now in France. Her work is a poignant ode to the earth, both native and fatal, and to all forgotten women. Née à Maurice, Ananda Devi a vécu en Angleterre, en Afrique, et aujourd’hui en France. Son œuvre est une ode poignante à la terre, natale et fatale, et à toutes les femmes oubliées. BY ANTOINE DE GAUDEMAR PHOTOGRAPHS DAMIEN GRENON Ananda Devi left Mauritius a long time ago. She has lived for thirty years in FerneyVoltaire, a small peaceful French town on the Swiss border. Very close to Geneva, where she worked for many years as a translator for the UN. Ananda Devi loves crossing borders. She studied anthropology in London, she lived for several years in Congo-Brazzaville, she returned to the India of her ancestors, and her occupation as a writer takes her through Europe and America. But in her life, as in her books, written in French, Mauritius continues to course through her veins. “I left the island to see new horizons,” she says. “But in my heart, I have never really left.” A PERPETUAL WRENCH “The child leaves and will always continue to leave,” she writes however in her very personal collection, Danser sur tes braises (Ed. Bruno Doucey, 2020). For her, life is one long separation, an “exploration of loss”, a perpetual wrench, of which exile is but one of the representations. In India, she says, there were death ritual for those who went into exile; as if dead, they were erased from the world of the living. In deference to her Indian origins and her ancestors who migrated to Mauritius in the late nineteenth century as “indentured labourers”, after the abolition of slavery, Ananda Devi wears a sari. Born in Trois-Boutiques in southern Mauritius, the writer grew up among the sugar cane fields her father cultivated. Throughout her youth she lived with the harvests, the noise of the fangourin (old sugar cane mills) and the song of the turtledoves. She still harbours an almost mystical attachment to nature and the land of her birth, as seen in her first collection of short stories, Solstices, published in Mauritius when she was barely twenty. AN ELEGY TO HER MOTHER However, Ananda Devi, despite her childhood immersed in tales from A Thousand and One Nights, the novels of the comtesse de Ségur and Hindu myths that her mother told her, does not feel made from one single block. On the contrary: she believes that Mauritius is fortunate in being a hybrid country, full of people from all continents, with different languages and cultures. From this plural identity, she has drawn a universalism that runs through all her work. “Unfortunately,” she regrets today, “rather than profiting from this multiplicity, many Mauritians sink into an increasingly rigid divide. You’d think the insularity, the isolation, would strengthen the feeling of belonging to one single community. But no. What strikes me each time I go there is that people now define themselves as Hindu, Muslim, Chinese, Creole. We identify most as Mauritian when we’re away from the country.” Danser sur tes braises is a poignant tribute to this attachment to the motherland. It is an ode, or rather an elegy, to her mother, who died some twenty years ago. “I have reached the age my mother was when she died, 62. The time had come, I believed, to put into words my feelings that I had never told her. I have never written about her, but I think I have always written 

for her. She had a fairly miserable childhood, but she was a strong woman, and very proud to see her three daughters achieve their ambitions. This book is also a tribute to all the women who came before her, my grandmothers, my ancestors, who fell into complete and utter silence, forgotten. I wanted to give them a voice.” Prostitution, forced marriage, the weight of tradition, imprisonment, ostracism: from Ève de ses décombres (Ed. Gallimard, 2006) to Le Rire des déesses (Ed. Grasset, 2021), many of Ananda Devi’s novels denounce the fate of women in Mauritius or India, in particular. She tackles the exclusion and suffocation of the divided, unequal societies. “I write, she says, to warn against rejecting the other.” ON THE SHORE OF THE SACRED LAKE A few years after the death of his wife, Ananda Devi’s father got up one morning and left the house of one of his daughters, where he lived. He left on foot, without saying where he was going. This calm, relatively fatalistic man took a taxi to Grand Bassin, one of the mainstays of Hindu culture in Mauritius. Once there, he told the driver not to wait for him. He went down to the water’s edge and there he died, alone, on the shores of the sacred lake, which, as legend has it, is a resurgence of the Ganges. When she returns to the island, Ananda Devi likes to go to the cemetery, hidden in a cluster of Latania palms, where her parents rest: “Here the island smells of you, and you of it.”  Latest published books: Le Rire des déesses, roman, Ed. Grasset (2021) Deux malles et une marmite, essai, Ed. Project'îles (2021) LITERATURE THE ART OF ENCOUNTER 38 Ananda Devi a quitté Maurice depuis longtemps. Elle vit depuis trente ans en France à Ferney-Voltaire, une petite ville paisible à la frontière franco-suisse. Tout près de Genève, où elle a longtemps travaillé comme traductrice à l’ONU. Ananda Devi aime passer les frontières. Elle a fait ses études d’anthropologie à Londres, elle a vécu plusieurs années au Congo-Brazzaville, elle est retournée dans l’Inde de ses ancêtres, et son métier d’écrivaine lui a fait sillonner l’Europe et l’Amérique. Mais dans sa vie comme dans ses livres, écrits en français, Maurice continue de faire battre son cœur. « J’ai quitté l’île pour voir d’autres horizons, dit-elle. Mais au fond de moi, je n’ai jamais eu l’impression d’en être partie ». UN DÉCHIREMENT PERPÉTUEL « L’enfant s’en va et ne cessera plus de s’en aller », écrit-elle pourtant dans son recueil très personnel, Danser sur tes braises (Ed. Bruno Doucey, 2020). Pour elle, la vie est une longue séparation, une « exploration de la perte », un déchirement perpétuel, dont l’exil est une des représentations. En Inde, raconte-t-elle, il existait des rites mortuaires pour ceux qui s’exilaient, ils étaient effacés du monde des vivants, comme morts. En référence à ses origines indiennes et à ses ancêtres émigrés à Maurice à la fin du XIXe siècle comme « travailleurs engagés », après l’abolition de l’esclavage, Ananda Devi porte le sari. Née à Trois-Boutiques au sud de Maurice, l’écrivaine a grandi au milieu des champs de canne à sucre que cultivait son père. Elle y a vécu toute sa jeunesse au rythme des récoltes, du bruit du fangourin et du chant des tourterelles. Elle en a longtemps gardé un attachement presque mystique à la nature et à sa terre natale, comme en témoigne son premier recueil de nouvelles, Solstices, publié à Maurice alors qu’elle avait à peine vingt ans. UNE ÉLÉGIE À SA MÈRE Mais Ananda Devi, nourrie dans son enfance des contes des Mille et Une Nuits, des romans de la comtesse de Ségur et des mythes hindous que lui racontait sa mère, ne se sent pas pour autant formée d’un seul bloc. Au contraire. Pour elle, la chance de Maurice, c’est d’être un pays hybride, peuplé d’habitants venus de tous les continents, de cultures et de langues différentes. Dans cette identité multiple, elle a puisé un universalisme qui éclaire toute son œuvre. «Malheureusement, regrettet-elle, aujourd’hui beaucoup de Mauriciens, au lieu de s’enrichir de cette multiplicité, s’enfoncent dans un repli communautaire de plus en plus rigide. On aurait pu penser que l’insularité, l’isolement, renforceraient le sentiment d’appartenance à une seule communauté. Mais non. De plus en plus, et ça me frappe chaque fois que j’y vais, chacun se définit avant tout comme hindou, musulman, chinois, créole. C’est à l’étranger qu’on se sent le plus mauricien ». Danser sur tes braises est unpoignant témoignage de cet attachement à la terre-mère. C’est une ode, ou plutôt, une élégie à sa mère disparue il y a une vingtaine d’années. “I WRITE TO WARN AGAINST REJECTING THE OTHER.” « J’ÉCRIS POUR METTRE EN GARDE CONTRE LE REJET DE L’AUTRE ». 

« Je suis arrivée à l’âge auquel ma mère est morte, 62 ans. Le temps m’a semblé venu de mettre en mots ce que je ressentais et que je ne lui avais jamais dit. Je n’avais jamais écrit sur elle, mais je crois que j’ai toujours écrit pour elle. Elle avait eu une enfance assez malheureuse, mais c’était une femme forte, très fière de voir ses trois filles réaliser leurs ambitions. Ce livre est aussi un hommage à toutes les femmes qui l’ont précédée, mes grands-mères, mes aïeules, qui sont tombées dans un silence et un oubli complets. J’ai voulu leur donner une voix». Prostitution, mariage forcé, poids des traditions, enfermement, ostracisme : depuis Ève de ses décombres (Ed. Gallimard, 2006) jusque dans Le Rire des déesses (Ed. Grasset, 2021), nombre de romans d’Ananda Devi dénoncent la situation réservée aux femmes à Maurice ou en Inde, notamment. Elle s’y attaque à l’exclusion et à l’étouffement des sociétés cloisonnées et inégalitaires. « J’écris, dit-elle, pour mettre en garde contre le rejet de l’autre». AU BORD DE L'EAU SACRÉE Quelques années après la mort de sa femme, le père d’Ananda Devi s’est levé un matin et a quitté la maison de l’une de ses filles où il vivait. Il est parti à pied, sans dire où il allait. Cet homme calme et assez fataliste a pris un taxi jusqu’à Grand Bassin, haut lieu du culte hindouiste à Maurice. Arrivé sur place, il a demandé au chauffeur de ne pas l’attendre. Il est descendu près du lac et il est mort là, seul, au bord de l’eau sacrée, dont la légende veut qu’elle soit une résurgence du Gange. Quand elle revient sur l’île, Ananda Devi aime se rendre au cimetière, dissimulé aumilieu d’un bois de lataniers, où reposent ses parents : « Ici, l’île a votre odeur et vous la sienne. »  Derniers ouvrages parus Le Rire des déesses, roman, Ed. Grasset (2021) Deux malles et une marmite, essai, Ed. Project'îles (2021) “I left the island to see new horizons. But in my heart, I have never really left.” « J'ai quitté l'île pour voir d'autres horizons. Mais au fond de moi, je n'ai jamais eu l'impression d'être partie ».

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Linley Marthe MARTHE’SWORLD LE MONDE SELON MARTHE An out-of-this-world musician, born in Mauritius and become a true citizen of the world thanks to his outstanding playing; a generous ogre in a constant battle against uniformity. Meeting in Paris with bass player Linley Marthe. Un musicien hors norme, né à Maurice et devenu passager du monde grâce à son jeu exceptionnel. Un ogre généreux qui, toujours, tord le cou à l’uniformité. Rencontre avec le bassiste Linley Marthe. BY LISA DUCASSE PHOTOGRAPHS CLAUDE WEBER In the articles from jazz magazines about him, he is referred to as “an alien”, “a monster”, a “phenomenon”, “mesmerizing”. When asked if he identifies with these adjectives, Linley Marthe, 49, bursts into a hearty, throaty laugh, before answering that the nickname that befits himmost is the one he used to have as a kid and which his bandmates recently pegged himwith: predator. A silence follows this, and then, once more, the sound of his sincere laugh fills the room. It’s true that there’s a lot in him to be intimidated by: his extraordinary career, his risky and unique technique, the admiration given himby the best in his field – musicians like Andy Emler, Chris Potter, D-Funk, and the great Joe Zawinul – who coveted him for their bands over the years. Linley Marthe is a profoundly energetic man, magnetic, always on the lookout for the next challenge, someone who will not hesitate to push his fellow musicians on stage, to assert the physicality of the music that is beingmade, and in so doing, magnify the pleasure of simply playing. With this in mind, you might expect the man to have rough, maybe slightly abrasive edges – but Linley Marthe welcomed us warmly in his Paris home, a home that he had just rejoined after five months of uninterrupted touring with three different bands, a home where an instrument is never far from reach, with his contagious laughter, generosity, and his love for music acting as a chord harmonizing with his every word. MUSIC AS PASSPORT He speaks of the journey that brought him here in simple terms: the first self-taught tunes in Tranquebar, Mauritius, the inspiration he got from the musical influences that came in contact with the island or were born there thanks to the various cultures existing in its midst, the first important encounters as he started playing, aged 14, in the coastal hotels… Then, as a result of these, the first opportunities opening up abroad, and the first departure for France, under the tutelage of saxophonist Ernest Wiehé – a tour at the end of which Linley made the decision not to go back home. This is a perfect example of him applying the risk-taking he advocates for in music to his own life. It was not, however, risk-taking for the sake of it, but a leap of faith to keep building, to keep going further, with a precise goal in mind. It is indeed in France, in Paris to be precise, that Linley’s career will take off and that he’ll find the means to fully develop his artistic potential, playingwith the best jazzmen in the city. Later still in the bassist’s life came another epoch, still unfolding today: that of travels. With music as his passport, Linley Marthe has been all over the world – it’s easier to ask him to list the countries he hasn’t visited yet than those inwhichhehas already been invited to play. This lifestyle not only suits him, it has become an integral part of who he is. Indeed, he explains that it would be impossible for him today to imagine his life without movement, a movement that has come to shape him. Even if he doesn’t play there regularly, Mauritius remains a home, the first of many that he managed to build for himself through music and thanks to it. The next challenge that Linley Marthe wishes to tackle is that of one day releasing an album of his own compositions. These songs will reflect his highly colourful personality, journey and influences: an echo between song and plumage, for this constantly migrating bird and highly-skilled cat. 

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