sur la petite terrasse offerte au large pour que son poème Nostalgies prenne corps: « Tous les songes d’Asie, / tous les parfums d’Afrique, / toute la poésie chimérique / me viennent ce soir avec cette brise de la Mer Indienne ». Même la nature sait lui rendre hommage. Ainsi la mer aurait sculpté son profil dans La Roche qui pleure. Avant de tracer dans les plaines roussies de Savannah, la route s’éprend une dernière fois de l’indomptable maître des lieux, l’océan, qui a su les préserver de toute construction humaine. Mais pas naturelle. Témoin, le Pont Naturel, un pont creusé dans la roche par le ressac et suspendu au-dessus des vagues. DANS LES TERRES AUSTRALES Bien sûr il y a Grand Bassin, empli de l’eau sacrée du Gange pour les hindous. Il y a Chamarel, haut lieu de pèlerinage pour les catholiques le jour de Sainte-Anne. Ses dunes de terre volcanique au dégradé de couleurs chaudes et sa cascade de 100 mètres de haut. Mais surtout, tôt le matin, avec les coqs de bois (les oiseaux ainsi nommés parce qu’ils réveillent la forêt), la contemplation du jour depuis les Gorges de Rivière Noire. Le silence lisse le drapé des montagnes qui se déroule jusque sur l’horizon de la mer. Il y a Bois Chéri, les champs de thé, l’usine familiale, la cueillette matinale, la délicatesse des gestes des femmes : seules les trois plus jeunes feuilles de chaque plant sont cueillies. La rencontre avec Azad, 59 ans, qui a dédié sa vie à l’usine (employé à la mise en paquet du thé en vrac à l’âge de 14 ans, il est aujourd’hui directeur des relations publiques), offrant ainsi à ses deux enfants « la ville et un avenir ». Et puis, bien après les chutes de Rochester qui n’en finissent pas de sculpter des stèles minimalistes de basalte noir, la route de L’Escalier traverse le pont de l’ancienne voie ferrée. Seuls les camions chargés de cannes tracent des nuages de poussière. Personne ne s’arrête ici, hormis quelques chiens errants. Et pourtant, rarement le spectacle de la nature s’est montré si généreux. La rivière des Anguilles se fraye un passage dans une vallée luxuriante. Le ruissellement de la lumière lève une palette insoupçonnée de verts. Sans compter la bande-son : ricochets de l’eau, chant d’oiseaux, vent dans les feuillages. SOUVENIR Au terme de la route, à l’une des extrémités du monde, se dresse la montagne du Lion. Elle tourne le dos au vide de l’océan, s’étire nonchalante dans la baie de Vieux Grand Port et n’offre que son profil au « bourg de Mahé ». C’est la fin de l’hiver. Dans la lumière douce, Mahébourg est intacte. Depuis la mosquée Jummah, le muezzin colore la fin d’après-midi. Non loin de là, à Notre-Dame-des-Anges, la répétition a commencé : les chants de la jeune chorale, portés par les accords d’une guitare, annoncent une messe joyeuse. Des dames créoles une à une font leur entrée, exécutent une légère génuflexion avant de se glisser sur les bancs en bois. Bientôt tous les dossiers sont décorés de petits sacs à main colorés. Demain on célébrera le père Laval. « Chacun est invité/ L’amour est partagé », dit le refrain. majestueux à l’entrée de l’ancien domaine sucrier ? Ou bien au poisson d’eau douce du même nom, pourtant inconnu des eaux mauriciennes ? Mystère. Reste le « château », une magnifique demeure coloniale prolongée d’un jardin à la française, construit par un nabab indien qui jamais n’est venu le visiter. La Baie du Jacotet, elle, ne se souvient plus des navires échoués ni des prémices de la bataille de Grand-Port. Elle est désormais aux riders de kitesurf, tout comme l’îlot Sancho qui n’abrite pour seul trésor que des arbustes fruitiers endémiques, les « pommes Jacquot ». Le roulement des tambours de guerre a laissé place à celui des pierres polies sur la plage de Rivière des Galets et au grondement des vagues océanes, libres de toute barrière de corail. À la hauteur de Gris-Gris (le nom laisse entendre des pratiques vaudoues anciennes), la terre est à l’océan. La côte accidentée livre un face-à-face aux assauts marins. Il faut monter au sommet du rocher de Macondé pour assister aux noces sans entrave des éléments et à la naissance des chemins de vent sur la mer. DANS L’OMBRE DU POÈTE Enfin s’offre la perle du Sud, Souillac (du nom du gouverneur général à la fin du XVIIIe siècle). Venir et revenir au jardin de Telfair (où Malcolm de Chazal aurait eu la révélation finale de son roman culte, Petrusmok), situé au-dessus d'une anse ronde et dorée et où d’immenses banians abritent les amoureux. En face, sur un promontoire volcanique, se déroule le cimetière marin, tout en fleurs et en tombes déglinguées. Parmi elles, celle du poète Robert E. Hart dont l’épitaphe se termine par ces mots : « Me voici. Tout mon cœur se fiance à ton ciel ». Longtemps il vécut dans une modeste maison recouverte de corail, la Nef, qui fut son abri et la source vive de son œuvre. Il suffit de se rendre ROAD TRIP THE ART OF ENCOUNTER 34
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