for her. She had a fairly miserable childhood, but she was a strong woman, and very proud to see her three daughters achieve their ambitions. This book is also a tribute to all the women who came before her, my grandmothers, my ancestors, who fell into complete and utter silence, forgotten. I wanted to give them a voice.” Prostitution, forced marriage, the weight of tradition, imprisonment, ostracism: from Ève de ses décombres (Ed. Gallimard, 2006) to Le Rire des déesses (Ed. Grasset, 2021), many of Ananda Devi’s novels denounce the fate of women in Mauritius or India, in particular. She tackles the exclusion and suffocation of the divided, unequal societies. “I write, she says, to warn against rejecting the other.” ON THE SHORE OF THE SACRED LAKE A few years after the death of his wife, Ananda Devi’s father got up one morning and left the house of one of his daughters, where he lived. He left on foot, without saying where he was going. This calm, relatively fatalistic man took a taxi to Grand Bassin, one of the mainstays of Hindu culture in Mauritius. Once there, he told the driver not to wait for him. He went down to the water’s edge and there he died, alone, on the shores of the sacred lake, which, as legend has it, is a resurgence of the Ganges. When she returns to the island, Ananda Devi likes to go to the cemetery, hidden in a cluster of Latania palms, where her parents rest: “Here the island smells of you, and you of it.” Latest published books: Le Rire des déesses, roman, Ed. Grasset (2021) Deux malles et une marmite, essai, Ed. Project'îles (2021) LITERATURE THE ART OF ENCOUNTER 38 Ananda Devi a quitté Maurice depuis longtemps. Elle vit depuis trente ans en France à Ferney-Voltaire, une petite ville paisible à la frontière franco-suisse. Tout près de Genève, où elle a longtemps travaillé comme traductrice à l’ONU. Ananda Devi aime passer les frontières. Elle a fait ses études d’anthropologie à Londres, elle a vécu plusieurs années au Congo-Brazzaville, elle est retournée dans l’Inde de ses ancêtres, et son métier d’écrivaine lui a fait sillonner l’Europe et l’Amérique. Mais dans sa vie comme dans ses livres, écrits en français, Maurice continue de faire battre son cœur. « J’ai quitté l’île pour voir d’autres horizons, dit-elle. Mais au fond de moi, je n’ai jamais eu l’impression d’en être partie ». UN DÉCHIREMENT PERPÉTUEL « L’enfant s’en va et ne cessera plus de s’en aller », écrit-elle pourtant dans son recueil très personnel, Danser sur tes braises (Ed. Bruno Doucey, 2020). Pour elle, la vie est une longue séparation, une « exploration de la perte », un déchirement perpétuel, dont l’exil est une des représentations. En Inde, raconte-t-elle, il existait des rites mortuaires pour ceux qui s’exilaient, ils étaient effacés du monde des vivants, comme morts. En référence à ses origines indiennes et à ses ancêtres émigrés à Maurice à la fin du XIXe siècle comme « travailleurs engagés », après l’abolition de l’esclavage, Ananda Devi porte le sari. Née à Trois-Boutiques au sud de Maurice, l’écrivaine a grandi au milieu des champs de canne à sucre que cultivait son père. Elle y a vécu toute sa jeunesse au rythme des récoltes, du bruit du fangourin et du chant des tourterelles. Elle en a longtemps gardé un attachement presque mystique à la nature et à sa terre natale, comme en témoigne son premier recueil de nouvelles, Solstices, publié à Maurice alors qu’elle avait à peine vingt ans. UNE ÉLÉGIE À SA MÈRE Mais Ananda Devi, nourrie dans son enfance des contes des Mille et Une Nuits, des romans de la comtesse de Ségur et des mythes hindous que lui racontait sa mère, ne se sent pas pour autant formée d’un seul bloc. Au contraire. Pour elle, la chance de Maurice, c’est d’être un pays hybride, peuplé d’habitants venus de tous les continents, de cultures et de langues différentes. Dans cette identité multiple, elle a puisé un universalisme qui éclaire toute son œuvre. «Malheureusement, regrettet-elle, aujourd’hui beaucoup de Mauriciens, au lieu de s’enrichir de cette multiplicité, s’enfoncent dans un repli communautaire de plus en plus rigide. On aurait pu penser que l’insularité, l’isolement, renforceraient le sentiment d’appartenance à une seule communauté. Mais non. De plus en plus, et ça me frappe chaque fois que j’y vais, chacun se définit avant tout comme hindou, musulman, chinois, créole. C’est à l’étranger qu’on se sent le plus mauricien ». Danser sur tes braises est unpoignant témoignage de cet attachement à la terre-mère. C’est une ode, ou plutôt, une élégie à sa mère disparue il y a une vingtaine d’années. “I WRITE TO WARN AGAINST REJECTING THE OTHER.” « J’ÉCRIS POUR METTRE EN GARDE CONTRE LE REJET DE L’AUTRE ».
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