Beachcomber Magazine 06

MUSIC THE ART OF ENCOUNTER 42 Dans les revues de jazz, les articles qui parlent de lui le décrivent comme « un extraterrestre », un « monstre », un « phénomène », « sidérant ». Quand on lui demande s’il s’identifie à ces adjectifs, Linley Marthe, âgé de 49 ans, éclate d’un rire franc, à pleine gorge, avant de répondre que le surnom qui lui va encore le mieux, c’est celui qu’il avait enfant et que, lors d’une tournée récente en Italie, ses collègues musiciens lui ont par hasard, sans savoir que c’était le même, réattribué : predator (prédateur). Un silence, et de nouveau, son rire sincère. C’est vrai qu’il a tout pour impressionner : un parcours hors du commun, un jeu risqué et unique en son genre, l’admiration des plus grands qui, en ses longues années de carrière, l’ont convoité pour leurs groupes : Andy Emler, Chris Potter, D-Funk, et le mythique Joe Zawinul. Linley Marthe est d’un caractère profondément énergique, électrique, à l’affût du prochain défi, qui n’hésite pas à faire transpirer ses partenaires de scène, à provoquer un rapport physique à la musique, un effort méritoire, un effort qui conduit au plaisir, cent fois intensifié, d’être là, de jouer. Ces caractéristiques pourraient laisser présager d’un homme aux contours rugueux, voire tranchants, mais il n’en est rien. Linley Marthe nous accueille chez lui à Paris, un chez-lui qu’il vient de rejoindre après cinq mois de tournée ininterrompue avec trois groupes différents, un chez-lui où il y a toujours un instrument à portée de main, avec son rire communicatif, sa générosité, et son amour pour la musique comme un accord qui s’harmonise avec chacun de ses propos. LA MUSIQUE COMME PASSEPORT Il retrace avec simplicité son parcours, depuis les premières notes apprises en autodidacte à Tranquebar à Maurice, l’inspiration qu’il puise des influences musicales qui ont touché l’île ou qui y sont nées du fait du mélange des cultures, les premières grandes rencontres alors qu’il se produit, dès l’âge de 14 ans, dans les hôtels de la côte, puis l’ouverture vers l’étranger découlant de ces expériences et le premier départ pour la France, sous la tutelle du saxophoniste Ernest Wiehé. Ils y arrivent dans le cadre d’une tournée, et Linley décide, une fois celle-ci terminée, de ne pas rentrer à Maurice. La prise de risque qu’il préconise avec sa musique, il l’appliqua donc aussi dans ce choix. Toutefois, ce n’est pas ici le risque pour le risque, mais un pas dans le vide calculé pour continuer à construire, pour aller plus loin, avec un objectif bien précis en tête. C’est en effet en France, à Paris, que va décoller sa carrière et qu’il trouvera les moyens de développer pleinement son potentiel artistique, aux côtés des meilleurs jazzmen du moment. Plus tard, vient encore une autre période, une qui dure aujourd’hui encore : celle des voyages. Avec la musique comme passeport, Linley Marthe a sillonné le monde, et il est plus simple de lui demander d’énumérer les pays où il n’est pas encore allé que ceux où on l’a déjà invité à jouer. C’est un rythme de vie qui, au-delà de lui convenir, fait aujourd’hui complètement partie de sa personne : il explique qu’il ne saurait plus s’imaginer sans le mouvement, sans la route, sans ces fugues musicales prolongées qui, au fil des années, l’ont formé, grandi, ont influencé sa manière de percevoir le monde et de le vivre. Même s’il n’y joue pas régulièrement, Maurice reste un port d’attache, le premier de tous ceux qu’il s’est construits dans la musique, et à travers elle. Le prochain défi que se pose Linley Marthe reste celui de présenter un jour un album de ses propres compositions, album qu’il envisage à l’image de sa personne, de son parcours, de ses influences : multiple, bigarré – un écho entre ramage et plumage pour cet oiseau migrateur et artiste de haut vol.  The musician's favorite bass, as authentic as its player. La basse préférée du musicien, d'une authenticité à son image.

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