Il est né de ces époques que l’on calibre à la louche. L’histoire curieusement n’est pas à mille ans près. Y a-t-il 4 000 ans ? Y a-t-il 2 000 ans ? Là-dessus, les historiens ni ne tranchent, ni ne se disputent. Qui le ferait, pour ce fruit gros comme une bouchée de chocolat, un rocher à la praline ? En tout cas, il est question, à chaque fois, de Chine. On trouvait l’arbre aux litchis dans le Sud, dans les provinces du Guangdong et du Sichuan. Les empereurs, les impératrices en raffolaient. On faisait ainsi courir les messagers nuit et jour pour qu’au petit matin, les augustes becs puissent fondre sur ces perles de saveurs rentrées : le litchi. D’où le proverbe chinois : "rapide comme un courrier de litchi". Tout de suite, du reste, lorsqu’on évoque ce fruit, afflue sa dimension de raisin, de rose grège. UN FRUIT PAISIBLE Comme les épices, ces fruits recherchés pour leur rareté ont vite trouvé leur niche, que favorisèrent illico le jeu des saisons et leur entrecroisement. Si, sur nos tables, ils se tapent la gloire éphémère des fêtes de fin d’année c’est tout simplement qu’ils sont à leur apogée dans l’hémisphère sud. Il y fait alors plein été, pendant que nous soufflons dans le roulis de nos écharpes. Voilà pourquoi, une nouvelle fois, l’île Maurice est convoquée au tableau pour nous conter sa longue descendance. Le litchi y fut importé, comme dans les Antilles, à la fin du XVIIIe siècle. Plus exactement en 1760 par le botaniste français Jean-François Charpentier de Cossigny de Palma. Le commerce à cette époque voyait grand, avec des visions impressionnantes. On commerçait comme on joue aussi au billard. À trois bandes, et ce sans considération humanitaire. On troquait, on échangeait, on raréfiait, on intoxiquait même les civilisations les plus chevronnées. Combien d’augustes empires furent ainsi mis en délicatesse pour les appétits aiguisés des commerçants. Vous connaissez la liste : la Chine, le Japon… Ne pensez pas pour autant que le litchi portait un ruban noir sur l’œil et le sabre à la hanche. Non, le litchi est un fruit paisible. Il a besoin de chaleur, d’humidité. Il fera le reste. Sur l’île Maurice, il s’est vite senti chez lui. On en rencontre partout, comme à Montagne Longue, mais moins dans les zones un peu plus fraîches comme Curepipe, Vacoas, Grand Bassin. ET BIENFAITEUR À part les intempéries, le litchi craint la roussette noire. Vous ne connaissez pas ? Faites un effort… On en parle aussi comme du « renard volant ». Vous y êtes : ce sont les chauves-souris. Du coup, la seule parade est de placer délicatement un filet sur les arbres. Cette petite sphère est aussi coriace à l’extérieur qu’elle est suave et conciliante à l’intérieur. Il y a là comme une dimension lactée, fluide. C’est ainsi que le litchi est utilisé en médecine chinoise. Il est apprécié pour sa nature tiède, ses saveurs douces et acides. On dit qu’il calme la soif excessive, ou encore les inflammations dentaires, ainsi que les douleurs post- partum… Il a une action directe sur la rate, qui « gouverne les pensées » mais aussi la concentration et la mémorisation. Si le litchi est un peu l’ami de nos desserts, c’est que sa nature n’est pas trop impérieuse. Il peut être l’objet d’une simple consommation, mais il peut aussi se mêler à la foule et rejoindre les glorieuses salades de fruit. Sa seule présence est un gage de recherche et d’application. D’une nature souple, le litchi peut se glisser dans des préparations comme les sorbets mais aussi profiler un carpaccio de poisson, s’allonger près d’une volaille, voire un gibier. Il y apportera un contrepoint bienveillant. Car il y a dans ce fruit beaucoup de candeur, d’écoute même. C’est un fruit confident. FINE CUISINE THE ART OF TASTE 90 ©Gettyimages/Westend61
RkJQdWJsaXNoZXIy NjMzMjI=