Le mot déjà danse tout seul. De ses trois phonèmes jaillit de la bonne humeur. Cela va même encore plus loin, car non seulement le mot voltige, mais il s’en va heurter d’autres billes de billard, transforme une aimable circulation de voitures en autos tamponneuses – ces carambolages qui font lever au ciel les yeux des assureurs. « Caramboler » peut même être grivois, mais tel n’est pas (aujourd’hui) le propos de ces pages. Autant dire que la carambole a déjà beaucoup vécu avant de venir se glisser dans votre assiette. Comme à chaque fois, la vie de la carambole remonte à la nuit des temps. On la voit ici et là. Vers les Moluques, le Sri Lanka, dans le sous-continent indien, en Asie du Sud-Est. Elle réapparaît dans le Pacifique, l’Amérique du Sud, l’Afrique. Et bien entendu, sur la bonne île Maurice. Sur l’île de Java, la carambole est considérée comme le symbole de la spiritualité, mais cela se gâte non loin de là, puisque l’on voit dans ses arêtes (pancasila) les cinq tabous fondamentaux (alcool, drogue, adultère, vol, pari). Tel n’est pas non plus notre propos. LE FRUIT STAR Pourtant, la carambole aurait pu avoir une vie un peu plus tranquille, se faire oublier comme le jamalac, le tamarin, le longane, la jamerose, le langsat… Mais non, la voici sur un jeu de smartphone (Fruit Ninja), et toujours dans ses apparitions de music-hall ponctuant les salades de fruit, les poissons grillés du jour, un déjeuner d’enfant… Sa vie aurait pu être simple, bucolique. Pendre négligemment aux branches du carambolier et parfois buller à douze mètres de haut et s’épanouir jusqu’à 1200 m d’altitude. Attendre les floraisons, jusqu’à trois-quatre par an. Laisser glisser quelques pluies tropicales, patienter sous les ardeurs du soleil, les tempérances de la brise. Et se laisser cueillir au bon moment. Elle peut être alors verte mais atteint son summum lorsqu’elle arbore un jaune doré, objet alors de toutes les convoitises. UNE HUMEUR FESTIVE La carambole assume son statut de star. Elle devait sans doute le pressentir, accrochée à ses branches. La suite va lui donner raison. C’est la reine des catwalks (salades, coupelles de fruits et plats de traiteur), elle enjolive les étals des marchés, fait briller les yeux des enfants. De surcroît, elle est bourrée de vitamine C. La carambole a tout de même beaucoup de magie en elle. À commencer par ses chairs translucides, comme si elle avait poussé dans les cieux, au paradis. Elle est très sucrée, gorgée de jus et rejoint les fruits emblématiques de l’île Maurice : mangue, fruit de Cythère, bilimbi, litchi, noix de coco. Star par naissance, elle a le contact facile. Elle est capable aussi bien de jouer les capricieuses dans un verre de rhum que les songeuses dans une présentation de poissons. Elle est là où elle est invitée, c’est même un peu la reine de l’incruste: volailles, desserts encore et encore, sur le bord d’un verre. Pour un peu, si on la laissait faire, on la retrouverait sur un transat de plage à parfaire ses couleurs de soleil… FINE CUISINE THE ART OF TASTE 88 ©Gettyimages/ThaiThu enjoyable, it should be eaten in moderation, for the star fruit contains a powerful neurotoxin and should be avoided by anyone with kidney problems. This enables it to appear less often; one star is sufficient, its halo grows. Its destiny is that of those rare people who remain high above us on the edge, like that of a pretty glass dish, as if it were dreaming of its previous life. But who knows, in the magic circle of life, perhaps it will become one with the humus, then the earth, and then the sap of a tree. And just maybe, a carambola tree will be there to receive it. To bring it forth once more. You cannot imagine the secret life of the star fruit…
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