Beachcomber Magazine 09

 Les saris bruissent. Les bracelets de verre ruissellent. Les « dames » de Reeta, une cinquantaine de femmes venues du village ou de plus loin – ainsi Devi, partie tôt ce matin en bus de Laventure –, se réunissent les vendredis matin au Social Welfare Centre de Petit Raffray pour suivre la classe de Geet (chanson) Gawai (interpréter) de Reeta Poonith. Parmi elles, les musiciennes prennent place : dholak (tambour), lota (récipient et cuillères), chinta (pinces garnies de capsules de bouteilles). La doyenne aujourd’hui se prénomme Sooriahwantee Hurnam. Elle a 81 ans. À l’unisson, la prière inaugurale, Dharti Bhandhaye, est adressée à la Terre-Mère nourricière. « On lui demande la permission et le courage de danser, et on la remercie. » Les participantes, le lieu ainsi que les instruments sont purifiés et bénis. Des offrandes (fleurs, fruits, épices, cailloux) sont disposées sur un plateau puis dans le creux des voiles. Les chants, portés par le rythme du dholak et les éclats des briques de bois frappées l’une contre l’autre, inondent la pièce. « Autrefois, en même temps qu’ils travaillaient, les coolies chantaient pour se donner du courage. Les paroles disent la peine, la joie, l’endurance, l’amour des parents, la colère des belles-mères…» Narainee entame une chanson qui relate la terrible traversée à bord de L’Atlas des premiers travailleurs engagés, les Girmitiyas, venus de Calcutta. « Le chant honore Kolkata et nos ancêtres. La richesse est pour eux et, par eux, transmise », souligne Reeta. Les dames entrent dans le cercle, déploient bras et paumes de mains vers le ciel, et enchaînent la dernière danse (Jhumar). Le chant célèbre la résilience, la paix et l’harmonie. Le voyage est sans âge. Ce qui se joue ce matin n’est pas seulement la répétition, la perpétuation d’un rite ancien. C’est aussi un échange puissant, un lien sororal tangible, une vibration d’amour très contemporaine. SAUVÉ DE L’OUBLI Depuis sa création, Reeta Poonith dirige l’école de Petit Raffray. Elle est née en 1955. Son ancêtre était un travailleur sous contrat originaire du Bihar. Elle est la cinquième génération. « Ce sont les femmes de ma famille qui m’ont naturellement transmis la langue et les codes du Geet Gawai. Nous étions une famille très modeste. Mon père supervisait les travailleurs dans l’usine sucrière de The Mount à Rivière du Rempart. Ma mère était laboureuse et nourrissait les vaches. Je suis la huitième d’une fratrie de dix enfants. Je me suis mariée à quinze ans. J’ai trois filles et un fils. Nous parlons bhojpuri, comme mes parents et comme la plupart des descendants des travailleurs, qu’ils soient de culture télougoue, tamoule ou marathie. Les geetarines traditionnelles sont aujourd’hui près de 15 000 à l’île Maurice. C’est sans compter celles des anciennes colonies, de l’Afrique du Sud au Suriname. » En passe de disparaître, une poignée de femmes s’est mobilisée pour perpétuer ce rite féminin ancestral et, dès 2012, pour dispenser son enseignement traditionnel à travers

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