Beachcomber Magazine 07

MUSIC THE ART OF ENCOUNTER 42 Il vit à Pointe aux Sables. Une modeste maison en retrait de la mer avec un petit jardin attenant où s’épanouit une cascavelle – l’arbre aux cosses emplies de graines, qui joue des percussions. À quelques kilomètres de là, son port d’attache, la cité Cassis, où il est né le 21 octobre 1955. « J’y ai encore de la famille. Je ne l’oublie pas, sinon je risquerais de me perdre moi-même », dit le dernier d’une fratrie recomposée de huit enfants, élevés par sa mère. Son corps longiligne est plein de murmures, de mots chuchotés qui s’entendent comme le son éloigné du tambour ravanne. Il parle le créole, le français, mais pas l’anglais. « Je ne suis pas allé à l’école... Mon seul engagement est pour la musique. Elle me vient des radios qui grésillaient tôt le matin, des chants de ma mère, ses ancêtres venaient de Pondichéry, ceux de mon père mauricien, de Madagascar, des sons de la nature qui habillent jour et nuit le silence », dit l’auteurcompositeur et interprète, voix et conscience vives de la créolité. « Je raconte la vie d’antan, la famille, la lampe à pétrole, l’exil, le déracinement. J’évoque la violence qui sourd, la drogue, les terres de canne qui reculent. Il faut dire les choses. Si on reste dans l’ignorance, on va souffrir encore plus ». Son adresse au jeu de Karom (billard indien) lui aurait valu son surnom, Menwar, « main noire » en créole. Ses mains expertes caressent plutôt qu’elles ne frappent la ravanne qui, toujours, l’accompagne. L’INSTRUMENT DE DÉCOUVERTE À 14 ans, il compose une chanson dédiée à sa mère aimante et son « père vagabond ». Avec l’aide des « grands frères » – ses amis musiciens, dont le mythique Kaya –, il enregistre ses premiers morceaux en studio dans les années 1980. « Des rencontres, des hasards, des vibrations ». Il trace son chemin, ressuscite le sega tipik (musique qui se transmet à travers les âges depuis la période de l’esclavage et qui est, depuis 2014, inscrite au patrimoine de l’humanité), mêle les rythmes séga à ceux du reggae, du jazz et du blues pour inventer son propre style, le seggae. Sa musique, jubilatoire et « sans étiquette », célèbre les ancêtres et le porte au-devant des grandes scènes et festivals, à La Réunion (où il s’établit pendant 9 ans), en Europe - France, Angleterre, Allemagne... « La musique ouvre le chemin », dit Menwar qui a transmis son talent à sa fille mauricienne, Sarah Honoré. Le chemin ? « C’est à la fois la route que vous allez emprunter. C’est aussi le chemin intérieur que vous risquez de découvrir ». Pour partager le trésor d’une vie entière, il fonde à Maurice en 1996 une école de ravanne, gratuite et ouverte à tous. « On sème des petites graines, mais, nous, on va passer avec le vent ». « J’aime la vie simple. Une discussion dans le jardin, une bonne vibration, c’est bien ainsi », dit le sage. Prune, sa chienne, aboie et nous rend à l’instant. Les mains unies, nous gardons le silence, et c’est le bruit qui va le mieux avec cet au revoir. 

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