Beachcomber Magazine 08

INSIDE MAURITIUS THE ART OF DISCOVERY 62 esclaves façonnent une langue, le créole, une danse et un chant, le séga. Ils recréent des instruments à l’aide de peaux de cabris, de graines de fruits, et utilisent leur serpe en guise de triangle. Ils chantent le déracinement, leur quotidien et la douleur des destins brisés », rappelle Stephan Karghoo, directeur du Centre Nelson Mandela pour la culture africaine et créole. Pendant la colonisation française (1715-1810), les réunions d’esclaves sont strictement interdites et sanctionnées par le Code Noir, auquel se substitue dès 1723 les lettres patentes. Une des rares évocations est celle de Bernardin de Saint-Pierre dans son Voyage à l’isle de France (1773) : « Quelquefois, j’entends au loin le son de leurs tambours mais plus souvent celui des fouets qui éclatent en l’air comme des coups de pistolet, et des cris qui vont au cœur...» Au début du XIXe siècle, les Britanniques prennent le contrôle de l’île et, en 1835, abolissent l’esclavage. Le séga reste pourtant stigmatisé.  Les nouveaux colons le jugent vulgaire et indigne d’être sur la place publique. Pendant plus d’un siècle, cette tradition musicale se perpétue à l’abri des regards, dans les arrière-cours des villages. RÉPARER LES VIVANTS Il faut attendre les années 1960 pour qu’elle soit reconnue sur la scène nationale. À l’occasion de « La Nuit du Séga » du 24 octobre 1964, organisée par le ministère du Tourisme et du Commerce, se tient la première représentation officielle, qui consacre le ségatier autodidacte Ti Frère. «Cette manifestation est l’acte de naissance du séga contemporain. Un peu plus d’un siècle après l’abolition de l’esclavage, la musique des esclaves accède enfin à la place publique. Quatre ans après, en 1968, l’indépendance du pays est proclamée», précise Daniella Bastien. Libérée, l’île cherche son identité. Avec le développement touristique dans les années 1970, le séga devient la vitrine culturelle et musicale de Maurice. Des groupes folkloriques s’invitent dans les hôtels, le son traditionnel subit peu à peu les influences des rythmes extérieurs– reggae, pop, jazz, électro. En 2014, le sega tipik est définitivement consacré par l’UNESCO qui l’inscrit sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité. « Encore faut-il veiller à sa préservation, à sa transmission et poursuivre la collecte des textes et des chants créoles pour qu’il reste vivant », insiste Alain Muneean qui s’engage en 2016 aux côtés des grands noms du séga – Marclaine Antoine, Marlène Ravaton (nièce de Ti Frère), Josiane Cassambo, José Legris, Fanfan… et le regretté Serge Lebrasse – dans la création de Lasosiasion Pratikan Sega Tipik. «Le séga est un symbole de résistance, de réparation et de résilience. Il est, avec la langue créole, la promesse d’un lien pacificateur entre nous», conclut Alain alors qu’il disperse les braises rougeoyantes du grand feu de joie. La danse va finir sans mettre fin au vertige.  16 17

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